Le discours du premier ministre

Enoncé des intentions et discours conclusif

Equité, justice, solidarité, universalité, références au Conseil National de la Résistance (dont faisaient partie le PCF et la CGT), à De Gaulle, Mendès-France, Rocard…  

Il faut y ajouter la belle image de la France « où les travailleurs payent fièrement la retraite de leurs parents… »  et l’affirmation forte d’une éthique « Nous ne voulons pas confier le soin de nos anciens à l’argent-roi. »

Si l’annonce des énoncés avait constitué un discours liminaire prononcé  pour introduire un débat dont l’objectif aurait été de mettre au point les mesures concrètes de ces intentions, il est probable qu’elle aurait fait l’unanimité : qui n’est pas d’accord pour l’universalité en matière d’équité,  de solidarité… ?

Il s’agit en réalité d’un discours non liminaire mais conclusif : il rappelle les décisions concrètes et annonce un calendrier politique précis : conseil des ministres du 22 janvier, débat parlementaire fin février.

Ce discours conclusif est celui du seul pouvoir exécutif auquel s’oppose la quasi-totalité des organisations professionnelles.

Sauf à lui prêter une grande naïveté, le premier ministre savait que ce discours allait faire basculer* la CFDT dans le camp de l’opposition radicale représentée principalement par la CGT et FO.

*Reste à savoir quelle en est la part tactique.

La pensée du premier ministre.

Deux exemples :

– « Aujourd’hui, les pensions des femmes sont inférieures nous le savons de presque moitié à celles des hommes. Qui peut l’accepter ? Personne. (…) Les femmes connaissent, plus souvent que les hommes, des interruptions de carrière, notamment pour s’occuper de leurs enfants. »

Le constat d’une injustice sert donc d’argument pour justifier une réforme à venir.  Seulement, cette injustice est l’aboutissement d’un processus qui contient une autre injustice : celle de l’inégalité des salaires « justifiée » par une argumentation (maternité, enfants…) appuyée sur une conception archaïque validée (consciemment ?) par le ministre : s’occuper des enfants est l’affaire des femmes.

– « Nous devons construire la protection sociale du 21ème siècle en prenant mieux en compte les nouveaux visages de la précarité.  Ces nouveaux visages, ce sont ceux de la caissière de supermarché à temps partiel, du livreur à vélo de la plateforme numérique, de l’agent de propreté qui a fini son travail quand tout le monde arrive le matin ; c’est l’étudiant qui fait des petits boulots pour financer ses études et rentre de plus en plus tard sur le marché du travail. »

Il s’agit d’un aval donné à une réalité antinomique des valeurs des énoncés.

Cette pensée qui considère implicitement comme allant de soi la précarité, qui ne pose même pas la question du bien-fondé par exemple de la nécessité des « petits boulots » pour nombre d’étudiants, contredit en effet l’esprit des énoncés : comment concilier cette normalité des iniquités du début de la vie active avec l’équité revendiquée pour la fin de vie ?

La philosophie politique du président.

E. Macron a conquis le pouvoir seul. Les corps intermédiaires, notamment les syndicats, mais aussi les maires (même s’il a dû composer avec eux) ne sont pas pour lui des composants du pouvoir tel qu’il l’entend. Il a notamment ignoré la proposition du secrétaire de la CFDT d’une table ronde au début du mouvement des gilets jaunes.

La main tendue une nouvelle fois par L. Berger partisan comme lui du système universel à points était facile à prendre. Pour la deuxième fois, et cette fois par la voix du premier ministre, le président a refusé.

Le choix qu’il fait est donc de « jouer » l’opinion contre les centrales syndicales, comme il le fait d’une manière plus générale contre les corps intermédiaires.

C’est aussi la philosophie du FN/RN.

Il joue donc sur le terrain marécageux du populisme* pour que M. Le Pen se qualifie au premier tour des présidentielles de manière à gagner contre elle au second.

* Un prochain article

2 commentaires sur « Le discours du premier ministre »

  1. Vous avez parfaitement raison. Le gouvernement veut un passage en force. Choisir le mois de décembre est pour le moins singulier vu les fêtes de Noël. Mais il pense sans doute que les voyageurs démunis se retourneront contre les syndicats, en particulier la CGT. Pari risqué. Quoiqu’il en soit cette « réforme » ou ce « projet de société » a été mal conçu et est d’un amateurisme affligeant,

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    1. Merci pour votre commentaire.
      Le pouvoir contesté ne répond jamais sur le fond parce qu’il serait amené à préciser le contenu des mots qu’il utilise comme des slogans. Cette phrase, par exemple, extraite du discours du premier ministre « La France n’a pas fait le choix, et je pense qu’elle ne le fera jamais, du chacun pour soi et du tant-pis pour les autres » – absurde quand elle est rapportée à l’histoire des luttes politiques et syndicales – n’a d’autre sens que de faire croire à une entité transcendante, une « France » qui rassemblerait tout le monde dans un même rapport exclusif de type affectif, fraternel (référence à « Les trois mousquetaires »).
      Les mots, le langage sont à mon sens au cœur du problème de ce qu’on appelle « populisme ».

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