La littérature, le bien, le mal, Job, Œdipe, la responsabilité (1)

Tels sont les thèmes principaux évoqués par Frédérique Leichter-Flack (professeur de littérature à Science-po)  dan les Matins (France Culture) du 13/01/2023 et qu’elle traite dans son essai Pourquoi le mal frappe les gens bien ? (Flammarion).

Elle précisera au cours de l’entretien : « Cette question titre est complètement idiote, naïve, absurde et on le sait (…) nous sommes des êtres rationnels, nous savons que le fait d’être quelqu’un de bien ne vous protège pas de la malchance, l’injustice du sort, mais on y tient (…) »

La problématique qu’elle construit concerne le sens de la vie et de la littérature dont elle pense qu’elle a une fonction disons d’anticipation expérimentale : « La littérature est comme un premier coup pour nous préparer, pour élargir notre conception morale, comme une sorte de réserve d’expériences qu’on peut réinvestir dans notre rencontre avec l’injustice du sort. On a besoin de ces cas extrêmes pour penser des formes de vie qu’on ne rencontrera jamais nous-mêmes, mais qui nous servent à nous situer. »

En d’autres termes, une expérimentation par d’autres qui n’existent pas, qui joue un rôle comparable à celui qu’Aristote assigne à la tragédie, relativement au bien et au mal. « Qu’est-ce que ça dit de nous, des êtres humains, cette attente que, aux gens bien, il n’arrive rien de mal ? »

Elle prend deux exemples : Job et Œdipe.

1 – Job

Le Livre de Job se trouve dans les Livres poétique et sapientiaux de l’Ancien Testament de la Bible.

Le Prologue en prose présente le personnage : « Il y avait dans le pays de Hus un homme nommé Job ; cet homme était intègre, droit, craignant Dieu et éloigné du mal. Il lui naquit sept fils et trois filles. Il possédait sept mille brebis, trois mille chameaux, cinq cents paires de bœufs, cinq cents ânesses et un très grand nombre de serviteurs ;et cet homme était le plus grand de tous les fils de l’Orient. » avant d’exposer le problème : à Yahweh qui se réjouit du comportement de son serviteur Job, Satan – une sorte d’inspecteur de ce qui se passe dans le monde – oppose le scepticisme et le doute : « Etends la main, touche à ce qui lui appartient, et on verra s’il ne te maudit pas en face ! » Yahweh accepte le défi mais Satan ne devra pas toucher à la vie de Job.

Job perd donc tous ses biens et ses enfants. « Alors Job se leva, il déchira son manteau et se rasa la tête ; puis, se jetant par terre, il adora et dit : » Nu je suis sorti du sein de ma mère, et nu j’y retournerai. Yahweh a donné, Yahweh a ôté ; que le nom de Yahweh soit béni ! »

Satan demande ensuite à Yahweh d’étendre la main sur le corps de Job qui est alors frappé par la lèpre. A son épouse qui lui conseille de maudire Dieu il répond : « Tu parles comme une femme insensée. Nous recevons de Dieu le bien et nous n’en recevrions pas aussi le mal ? »

Après ce Prologue, vient le Poème en trois parties, trois cycles de discours, celui de Job qui maudit le jour de sa naissance, puis le dialogue entre Job et ses trois amis qui veulent le convaincre que ce qui lui arrive est une punition pour les fautes qu’il a commises. Job refuse cette explication en se proclamant innocent.

L’Epilogue, en prose, raconte que Dieu rétablit Job dans sa santé, lui redonne sept fils et trois filles et double sa fortune, alors qu’il reproche leur discours à ses amis qui obtiennent son pardon après avoir accompli un sacrifice.

La problématique est donc celle du sens du malheur : pour les trois amis, il s’agit de la culpabilité (consciente ou pas) de celui qui en est frappé, pour Job, le malheur est inhérent à la vie terrestre et c’est cette position qui lui vaut de retrouver son statut initial.

La distinction (vérifiée dans deux éditions de la Bible) entre Yahweh (écriture de 4 consonnes – tétragramme – à la prononciation inconnue sinon impossible qui désigne une divinité sémitique archaïque) et Dieu (juif, chrétien) peut éclairer le sens : « Dieu » concerne le rapport avec les hommes et Yahweh le rapport avec ce qui est, la vie d’une manière générale. Il y aurait donc une distinction entre la vie, telle qu’elle est, contenant le bonheur et le malheur sans rapport avec le bien et le mal – conception de Job qui est récompensé –  et la vie telle qu’elle est supposée avoir du sens en relation avec Dieu, punissant par le malheur, ce qui implique la culpabilité de l’homme qui en est frappé – une construction humaine « insensée » (incarnée par la femme de Job dont la réaction est purement émotive, sensible) et une erreur raisonnée (incarnée par ses amis,  désavoués.)

Loin de nous préparer à « élargir notre conception morale » relativement à « l’injustice du sort », ce récit-parabole indiquerait au contraire la vanité de la morale (du bien et du mal) comme outil d’explication en soulignant que l’homme contribue à son malheur en recourant à une transcendance religieuse qui le culpabilise.

( à suivre : Œdipe)

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