Molière fut enterré de nuit, en catimini. En ce temps-là où croire en Dieu était obligatoire et où la religion enveloppait tout, les comédiens étaient excommuniés et ne pouvaient donc être enterrés accompagnés du viatique qui donnait une chance d’accéder au paradis.
Au 17ème siècle le comédien est encore diabolique, dans le sens étymologique : le verbe grec diaballein « lancer à travers » signifie aussi calomnier (une calomnie revient à lancer des accusations), puis diviser (lancer à travers conduit à séparer).
Celui qui évolue sur la scène du théâtre n’est pas « un » comme est censée l’être la créature divine idéale mais il représente une division de l’être qui renvoie à celle de l’homme originel séparé de Dieu par le Diable tentateur.
Son ambivalence (Molière était très apprécié de Louis XIV même quand il le censurait – voir l’article Tartuffe daté du même jour) tient au fait qu’il est l’expression vivante d’une caractéristique humaine que la doxa religieuse de la Providence a du mal à refréner : l’imaginaire, le rêve et le désir qu’ils expriment d’être autre dans un monde autre.
Aujourd’hui, Michel Bouquet recevra un hommage national aux Invalides et le président de la République prononcera son éloge funèbre.
Que le comédien – et lui particulièrement – soit perçu et reconnu comme l’incarnation positive de ce désir est le signe d’une émancipation de la société.
Que cette perception devienne objet de reconnaissance officielle est problématique dans le sens où elle fige de manière quasi institutionnelle l’expression de ce qui est essentiellement rejet des structures de pouvoir et mouvement.
Surtout quand l’hommage commencera par un passage en revue des troupes militaires et l’interprétation de la Marseillaise…
Où il se trouve – on ne le sait pas vraiment – Molière ne peut qu’en rire… ou en pleurer.