L’enjeu du vote du 24 avril

Je ne parle pas ici des personnes Marine Le Pen et Emmanuel Macron mais de ce dont ils sont, plus ou moins consciemment, l’expression.

Il ne s’agit donc pas de voter pour ou contre l’une ou l’autre, mais de savoir ce que disent leurs discours.

Le discours d’E. Macron est celui du capitalisme dont je dirais qu’il est la représentation parfaite, en ce sens qu’il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre ce qu’il pense / dit et la réalité de ce système.

Ce qu’il promeut, c’est la réussite de l’individu-entrepreneur comme critère de réussite collective. Cette conception de la vie est appuyée sur la formule « quand on veut (réussir) on peut/il suffit de (traverser la route) ». Par l’effet du « ruissellement », l’enrichissement de quelques-uns (les meilleurs = ceux qui veulent) profite à la collectivité. C’est ce qui sous-tend ses décisions de diminuer l’aide au logement pour les étudiants, de demander une compensation pour l’obtention du RSA. Le critère essentiel étant la croissance, autrement dit le développement exponentiel du couple production/consommation, il faut donc « travailler plus pour gagner plus » (une formule de N. Sarkozy dont la différence avec E. Macron n’est que d’ordre culturel/langagier)  et, la durée globale de vie augmentant,  il propose de reculer progressivement l’âge du droit à la retraite à 65 ans. Le corollaire est l’infantilisation dont le traitement de la pandémie a été une illustration (cf. les articles à partir de mars 2020, entre autres).

Le discours de M. Le Pen n’est pas celui de l’anticapitalisme – ses promesses électorales actuelles sont focalisées sur le « pouvoir d’achat » – et il n’est pas non plus celui du capitalisme dont elle utilise la dimension financière pour susciter des réactions populaires passionnelles.

L’examen des principes fondateurs du FN-père (on peut les trouver sur Wikipédia) montre qu’il n’y a pas de différence de fond avec le RN-fille : l’essentiel est l’identité/préférence nationales, le rejet de l’étranger immigré, autrement dit un repli identitaire dont la justification/caution sont l’intérêt et la protection du « peuple français ».

J’emprunte l’essentiel de ce qui suit – jusqu’aux *** – à un article du Monde (12.04.2022) réservé aux abonnés.

Derrière les promesses économiques de l’avant-scène électorale, se tient, prête à l’emploi, une batterie de mesures concernant ces thèmes et qu’elle fera adopter par référendum (il n’est pas difficile d’imaginer quelle serait la réponse à : êtes-vous d’accord pour donner la priorité aux Français ?) dont elle précise que le résultat à l’avantage de ne pouvoir être remis en cause par le Conseil constitutionnel.

 La préférence nationale est la clef de voûte :  il s’agit d’instaurer une discrimination légale entre nationaux et étrangers pour accéder à l’emploi privé, à la fonction publique, au logement social, à l’hôpital ou aux prestations sociales. Autrement dit, inscrire, comme il est prévu,  cette priorité nationale dans la Constitution sera une rupture majeure avec la Déclaration de 1789 et le préambule de celle de 1946 qui fondent pour l’essentiel notre République.

Abroger la naturalisation automatique par le mariage et supprimer le droit du sol pour les enfants nés en France de parents étrangers eux-mêmes nés en France, en vigueur depuis 1889 et jamais remis en cause, même sous le régime de Pétain, fait également partie des mesures, comme la possibilité d’un référendum sur le rétablissement de la peine de mort (du genre : êtes-vous d’accord pour rétablir la peine de mort pour les crimes commis sur les enfants, par des terroristes etc. ?)

Enfin, s’agissant de l’Union européenne, elle envisage de renégocier « de nombreux textes de droit dérivé, voire des traités eux-mêmes », de ne plus tenir compte des avis de la Cour de justice instituée par la Convention européenne des droits de l’homme, autrement dit de rejoindre le camp de l’Azerbaïdjan, de la Turquie et de la Russie. Sa proximité avec V. Poutine, comme avec D. Trump, est bien connue.

Selon Tania Racho, docteure en droit européen à l’université Paris-II « Cette mise à distance de l’Europe revient à isoler la France et serait irréalisable. Il est impossible de remettre en cause la primauté du droit de l’Union européenne sans conséquences. La Pologne était sous le coup d’une astreinte d’un million d’euros par jour pour avoir voulu supprimer la chambre disciplinaire de sa Cour suprême ». Déroger au traité du Conseil de l’Europe suppose de sortir de l’Union européenne : tout pays de l’UE doit avoir adhéré à la Convention, considérée comme un « acquis démocratique » ; l’UE reprend tous les droits civils et politiques de la CEDH dans sa charte des droits fondamentaux. S’en affranchir revient à un « Frexit » de fait, tôt ou tard.

M. Le Pen ne cache pas non plus sa proximité avec Viktor Orban dont la gestion politique est marquée par la chasse aux « lobbys LGBT » et aux ONG d’aide aux migrants, par des purges dans la magistrature ou de fortes restrictions des libertés de la presse et de l’université. Elle a été reçue par lui en grande pompe à Budapest, en octobre 2021, puis l’a revu en tête-à-tête à Madrid, en janvier. Après avoir décroché un prêt de 10,7 millions d’euros d’une banque hongroise, elle a diffusé une vidéo de soutien du dirigeant hongrois lors de sa « convention présidentielle » de Reims, le 5 février.

                                                          ***

Le capitalisme du discours d’E. Macron n’a pas eu à affronter au premier tour une proposition alternative. Aucun des opposants de gauche n’a remis en cause le principe à partir duquel se développent les formes industrielles et commerciales du système. Ce qui peut expliquer pourquoi il n’y a pas eu de candidature commune possible (cf. la manière dont se sont déclarés les candidats, notamment J-L Mélenchon).

Ce qui lui est électoralement opposé par M. Le Pen n’est pas du domaine de la politique proprement dite, mais ressortit à la peur / angoisse humaine, banale, devenue au fil des cinquante dernières années (le FN a été fondé en 1972) une pathologie collective croissante. Il est remarquable que l’audience du FN (viscéralement anticommuniste – moins de 1% aux présidentielles de 1974) se soit développée en même temps que diminuait celle du PC, signe, parmi d’autres, du désarroi provoqué par la représentation du capitalisme comme seule forme possible de système.

L’enjeu concerne donc le risque d’une transformation de nos petites machines individuelles de peur/angoisse en une grande machinerie collective dont rien ni personne n’est en mesure de savoir jusqu’à quelles démesures elle peut conduire. L’histoire nous apprend que le nationalisme produit, tôt ou tard, la guerre.

Déterminer la vie commune sur le critère de l’exclusion de l’étranger qu’on oppose à la préférence nationale parce qu’il est l’étranger, revient à faire sauter les verrous d’inhibition qui nous permettent de vivre ensemble avec nos diversités.

Il ne s’agit donc ni d’un vote pour le capitalisme ni d’un vote par défaut (ce serait le cas s’il y avait eu une solution de rechange en vue),  mais de déposer dans l’urne le bulletin qui laisse ouverte la porte à la recherche de cette solution et de fermer celle qui libère les chiens de haine.

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