Que se serait-il passé si les partis de gauche et d’écologie s’étaient retirés au profit de la France Insoumise ?
Ils ne se sont pas retirés.
Pourquoi n’y a-t-il pas eu de campagne électorale, mais une juxtaposition de monologues ? Que se serait-il passé si des débats entre les candidats avaient eu lieu ?
Ils n’ont pas eu lieu.
Le conditionnel passé est un mode redoutable qui invite à esquiver la recherche de la cause pour se fixer sur les modalités qui « auraient pu » être autres ; ce qui revient à dire que les choses seraient différentes si elles n’étaient pas ce qu’elles sont.
La quasi-disparition des deux partis historiques de gouvernement (Les Républicains, Parti socialiste) confirme que le discours des promesses/réformes est bien inaudible. En-dehors du radicalisme convenu de la table rase des deux partis trotskystes, tous les autres font des propositions qui ne varient qu’à la marge, même si les variations peuvent être importantes (salaire minimum, impôts, âge de départ à la retraite, par exemple).
Quelles qu’elles soient, les promesses/réformes ne sont plus pour une grande partie de la population que le signe de la vanité de la politique et des politiques.
Après vingt-six ans d’annonce sans résultat probant de changement de vie (les deux septennats de F. Mitterrand) et de résorption de fracture sociale (un septennat et un quinquennat de J. Chirac), ce qui, essentiellement, a fait élire N. Sarkozy en 2007 et F. Hollande en 2012, est un double transfert/substitution du désarroi existentiel dans la peur de l’autre d’abord identifié à la « racaille », ensuite au« monde de la finance » : deux représentations erronées de la problématique existentielle dont la persistance – après les deux mandats d’échec – explique le remplacement des partis sans chef par trois chefs sans parti.
E. Macron et J-L Mélenchon disparus, que resterait-il ?
M. Le Pen est le chef non d’un parti mais l’expression électorale d’une pathologie qui s’étend, et à qui la forme aiguë incarnée par E.Zemmour peut donner une apparence anodine. Elle aime beaucoup les chats et s’est appliquée à promettre une amélioration d’un essentiel appelé « pouvoir d’achat » dont personne ne semble remarquer la dimension réductrice (cf. l’homme assimilé au « consommateur »).
Il n’y a pas eu de candidatures retirées à gauche parce que le seul discours de gauche désormais possible sur le commun est esquivé par la fuite électorale : la candidature de J-L Mélenchon a été annoncée un an avant l’élection, sans concertation. Elle était celle du chef sauveur. De ce point de vue, elle ne diffère pas de celle de M. Le Pen, ni, si ce n’est dans les modalités, de celle d’E. Macron.
A l’exception d’un seul, tous les candidats – dont le candidat communiste – ignorent le mot commun. Le seul à l’évoquer est J-L Mélenchon, mais dans le seul libellé de son programme « Avenir en commun », tout le reste n’étant qu’une déclinaison de promesses/réformes.
Il n’appelle pas explicitement à faire barrage à M. Le Pen en ne disant pas qu’il est nécessaire de voter E. Macron (l’abstention ou le vote blanc ne servent à rien), signe d’irresponsabilité.
Si la réélection d’E. Macron n’est qu’une réponse de conjoncture, son caractère très particulier – il sera majoritairement élu par défaut et les législatives seront peut-être atypiques – laissera néanmoins disponible l’espace des cinq années pour poser la question de notre commun.
Macron a été élu par défaut en 2017 et le sera peut-être aussi en 2022. Mais ne pas faire comme Mélanchon et lui tenir la dragée haute par rapport (je ne donne qu’un exemple) à la réforme des retraites ou (je donne un autre) le salaire des profs d’élémentaire et de secondaire avant de crier victoire sur Le Pen est symptômatique de la nullité politique de la gauche.
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Le discours d’E. Macron parle de l’individu, le cœur de sa philosophie. Il est l’expression (investie du pouvoir) du désarroi où nous plonge l’échec de l’utopie de rechange construite sur le commun exclusivement lié à l’objet. D’où un désenchantement (= il n’y a pas d’avenir via la politique, surtout traditionnelle > FN/RN) qui se manifeste aussi par la résignation (= à quoi bon les luttes syndicales ? chacun s’en sort comme il peut). De ce point de vue, il est remarquable que l’institution hospitalière n’ait pas été un enjeu important de l’élection, l’investissement des individus (médecins, infirmières etc.) venant compenser/remplacer le manque de l’investissement commun (cf. aussi la question des Ehpad) ; ce n’est pas nouveau (cf. la déclinaison idéologique de l’altruisme) mais l’aporie de la pensée du commun (hors la seule dimension de l’objet) lui donne une dimension qui peut sembler paradoxale.
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