Introduction à la lecture de l’Ethique de Spinoza (4)

Définition III : « Par substance, j’entends ce qui est en soi et est conçu par soi, c’est-à-dire ce dont le concept n’exige pas le concept d’une autre chose, à partir duquel il (= ce concept) devrait être formé. »

On retrouve le « je » de « j’entends » (intellego), on revient donc dans la pensée créatrice.

Cette Définition II rappelle la cause de soi de la Définition I par les en soi* (in se) et par soi** (per se), c’est-à-dire que le concept substance (sub-stare : littéralement = être dessous => constituer) n’a besoin de rien d’autre que lui-même.

*En soi  = dans, par sa nature. Ex. « L’homme est naturellement bon (…)  la société  déprave et pervertit les hommes. » (J-J Rousseau – Discours sur l’origine des inégalités parmi les hommes)

**Par soi  = par lui-même, sans besoin de rien d’autre.

C’est une nouvelle fois le renvoi à un autre chose que le Dieu du catéchisme qui, par définition, n’a besoin, pour être, que lui-même :  il est, en soi et par soi => « Par lui, avec lui et en lui, à toi, Dieu le Père tout-puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire, pour les siècles des siè­cles » (Conclusion des prières eucharistiques de la messe).

Ce qui constitue l’existence, ce qui est, n’est donc pas ce Dieu mais, et c’est la notion fondamentale de l’Ethique, une substance, un concept qui se suffit à lui-même (il n’y a pas besoin d’imaginer un autre concept-créateur).  

On voit se dessiner plus précisément l’idée globale : en tant qu’humains, nous sommes conduits à créer soit des dieux/un Dieu transcendants (= aliénation dans le sens premier du latin alienus => ce qui fait dépendre d’un autre) soit des concepts immanents (une expression de la raison facteur de liberté).

Commentaire : on pourrait se soumettre à la tentation de vouloir construire une représentation concrète de substance, équivalente à celle, voulue rassurante, du Dieu chrétien.

Il faut résister à cette tentation – tiens donc ! – mais oui ! Non parce que ce serait « mal », mais parce qu’une telle représentation serait inadéquate. Si, par exemple, je dis que la substance de Spinoza est la matière, ses atomes, ses molécules etc., il me faut y associer entre autres théories celle du Big Bang ; mais cette théorie qui pose la question du commencement se situe hors du champ proprement scientifique de la matière.

Substance est une création de la pensée et ce concept (on peut le rejeter si on conteste la doctrine de Spinoza) est une réponse proposée au questionnement proprement humain.

En d’autres termes, il n’est pas possible de ne pas se poser l’ensemble des questions qu’embrasse ce concept ou, comme on l’a vu, le Dieu de la religion.

Substantia, en latin, désigne à la fois l’essence, l’être, et aussi  le soutien, le support. Même si le champ de signification n’est pas de dimension comparable, l’aspect psychologique que prend parfois le soutien peut aider à comprendre le concept dans sa dimension philosophique.

De même, l’amitié ou l’amour,  relativement au problème de la représentation concrète : on peut faire la liste les éléments censés expliquer l’affection portée à une personne, accumuler les motifs qu’on a de l’aimer, on ne parviendra jamais à une explication exhaustive et satisfaisante, du moins de cette manière. « Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer, qu’en répondant : « Parce que c’était lui ; parce que c’était moi. » dira Montaigne de son amitié avec Etienne de La Boétie pour expliquer l’inexplicable. Dans le fil de la comparaison (imparfaite comme toute comparaison), on pourrait dire que l’amitié et l’amour sont des « substances » dont ne percevons que des signes qui disent ce que ces deux sentiments sont sans qu’il soit possible d’en avoir une représentation autre.

Au fond, ce qui importe, c’est la validité par les effets : que ce soit pour l’amitié, l’amour ou pour le concept substance, leur validité se mesure à la qualité de vie qu’ils permettent.

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