Quelques précisions liminaires :
1° Emmanuel Macron, dans mes articles, n’est jamais l’individu, mais, l’expression politique majeure en France du système capitaliste.
Ce système, planétaire (ou peu s’en faut) depuis une trentaine d’années est, depuis la fin du 18ème siècle et sous des modes économiques et sociaux variables dans l’espace et le temps, l’expression de ce que nous, êtres humains, sommes, sans exception. (cf. articles sur le capitalisme)
2° Une démarche pédagogique doit nécessairement être soumise à une critique qui l’approuve ou la conteste selon des critères qu’il faut préciser.
3° Vouloir comprendre un acte criminel n’a rien à voir avec une quelconque justification de cet acte. Assassiner est toujours et sans exception inacceptable. Ne pas s’en tenir à la condamnation morale et vouloir comprendre est, comme l’acte criminel lui-même, une démarche propre à notre espèce : en attestent l’Etat de droit et les tribunaux. Les animaux ne commettent pas de crimes, ils n’ont pas la faculté d’analyser le fonctionnement de leurs sociétés et des individus qui vivent sous des modes immuables.
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1° le discours d’E. Macron du mercredi 28 octobre, comme tous les discours précédents relatifs au même objet (pandémie), est un catalogue de mesures présentées comme imposées par la nécessité, en l’occurrence virale. Il est vide de toute analyse qui permettrait une compréhension du fait épidémique, pandémique, de ce que signifie « vivre avec » le virus. Tout est de l’ordre du faire, rien ne sollicite la pensée.
Il en va de même pour ce qui concerne la mutation climatique et, d’une manière générale tous les dysfonctionnements économiques et sociaux : ne sont et ne peuvent être pris en compte que des effets, sous peine de remettre en cause le système lui-même.
De ce point de vue, il n’y a aucune différence essentielle entre le discours d’Emmanuel Macron et celui, très médiatisé, de Thomas Piketty. Les seules différences concernent la manière d’évoluer dans la sphère du système.
2° Le rire est un élément essentiel de l’apprentissage scolaire parce qu’il est un des outils de distanciation et que la distanciation est une des garanties de l’acceptation de la différence qu’est nécessairement l’autre que soi.
La distanciation permet notamment la conscience que, pour ce qui concerne le domaine du croire, toutes les sphères de croyance sont équivalentes. C’est là un des piliers, sinon le pilier central de la laïcité pour qui l’école est le lieu de la distanciation subjective, autrement dit le lieu de l’objectif, du savoir.
Si ce « propre de l’homme » qu’est le rire est un objet d’apprentissage, c’est que, malgré sa spontanéité (relative), il est une démarche culturelle, aussi bien dans son expression que dans sa réception. Ainsi, rire d’un objet extérieur apparaît plus évident que rire de soi et nettement moins qu’être soi-même objet du rire de l’autre.
Il ne s’agit pas de refuser la spontanéité du rire (ou d’autre chose), mais de l’enrichir par l’intelligence du savoir ce qu’il signifie.
« On peut rire de tout mais pas avec tout le monde » (P. Desproges), oui, à condition d’ajouter dans le même espace et dans le même temps.
Montrer à l’école ou ailleurs une caricature touchant à la croyance n’est efficient que si le public à qui elle est montrée à titre d’illustration, dans un espace et à un moment donnés, a d’abord compris et acquis ce qu’est la distanciation, surtout dans ce domaine particulier.
La caricature de Mahomet est insupportable pour la religion musulmane, comme sont insupportables pour des chrétiens le film de Martin Scorsese (La dernière tentation du Christ) ou la photo d’Andrès Serrano (PissChrist). Les uns et les autres se réfèrent au « blasphème » qui, dans une société laïque, ne peut concerner que ceux qui sont dans une sphère de croyance, en l’occurrence religieuse. Ainsi, le « droit au blasphème » ou la « liberté de blasphème » revendiqué par certains défenseurs de la liberté d’expression est un double non-sens, et pour les non croyants et pour les croyants, équivalent à ce que seraient « le droit à ne pas faire le signe de croix » pour les uns et une intervention de l’Etat dans la vie liturgique interne des églises pour les autres.
Ne pas pouvoir sortir de sa sphère de croyance pour la considérer, ne serait-ce qu’un instant, dans sa relativité d’équivalence, limite voire interdit le rire perçu dès lors comme un danger. (cf. Le nom de la rose – Umberto Ecco)
Dans quelle mesure l’école française peut-elle aider à une telle démarche de distanciation ?
3° Il importe de comprendre ce qui conduit un homme d’une vingtaine d’années, à quitter son pays, comme des dizaines de milliers d’autres, pour venir en Europe.
« L’assaillant est un Tunisien arrivé il y a très peu de temps par Lampedusa. Avec la crise sanitaire et sécuritaire, plus aucune entrée ne doit être tolérée ! » (Eric Ciotti – député des Alpes-Maritimes)
Les frères Kouachi et Amédy Coulibaly (attentats de janvier 2015) étaient des citoyens français nés en France.
« Treize jours après Samuel Paty, notre pays ne peut plus se contenter des lois de la paix pour anéantir l’islamofascisme. » (Christian Estrosi – maire de Nice)
Quelle lois de la guerre peuvent empêcher un individu de devenir fanatisé au point de prendre un couteau pour aller frapper des gens dans la rue, dans une église, ou ailleurs, au hasard ?
Ces déclarations d’élus de la République non seulement ne sont d’aucune aide pour tenter de résoudre les problèmes que posent de tels assassinats, mais elles contribuent à susciter les passions en se substituant à un discours de savoir.
« Si nous sommes attaqués, une fois encore, c’est pour les valeurs qui sont les nôtres. Pour notre goût de la liberté. Pour cette possibilité sur notre sol de pouvoir croire librement et de ne céder à aucun esprit de terreur. Nous n’y céderons rien. » (E. Macron)
« Pouvoir croire librement » associé à « valeurs qui sont les nôtres » et à « notre goût de la liberté » a une étrange résonance dans la bouche du président de la République laïque.
Comme s’il ne s’autorisait pas à rappeler l’essentiel de la société laïque : la distinction entre croire et savoir.
Il ne le peut pas, parce qu’il existe, en France laïque, des écoles privées, dont des écoles confessionnelles.
Les confusions et les ambiguïtés dans les rapports entre l’Etat et les institutions religieuses, dans les discours tenus sur la laïcité, contribuent à nourrir le terreau, ô combien triste ! de l’obscurantisme et du fanatisme.
Dans ce manque de clarté qui perdure, quelle possibilité existe-t-il que les caricatures de Mahomet exposées publiquement par certaines collectivités ne soient pas vues comme l’illustration qu’elles sont censées être du rire de distanciation, mais comme une provocation ?
Ces confusions et ces ambiguïtés, exprimées dans les pratiques et les discours des élus de la République, dans l’existence des écoles privées, confessionnelles ou pas, sont de notre responsabilité.
Ceux qui considèrent que la photographie « Piss Christ » d’Andrès Serrano est blasphématoire n’ont évidemment rien compris. D’ailleurs si Serrano n’avait pas donné ce titre et les détails du liquide en question (sa propre urine) personne n’aurait crié au scandale. « Pour moi, Piss Christ a toujours été un acte de dévotion. Je suis né et j’ai grandi catholique et j’ai été chrétien toute ma vie » a d’ailleurs déclaré l’artiste à l’époque en regrettant que les censeurs n’aient pas vu les souffrances de la crucifixion (sang, larmes, urine, sueur …).
(Pour l’anecdote je suis voisine d’Andrès Serrano à New York et j’ai donc vu cette photographie dans son appartement. Qui est un musée à la gloire du catholicisme, avec une extraordinaire collection d’art religieux.
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Merci pour ces précisions qui soulignent l’importance du rapport entre le fait religieux et la question du corps. Comme l’œuvre elle-même, les explications d’ A. Serrano sont jugées blasphématoires par ceux qui ont tenté de détruire sa création et demandé son interdiction (il y eut une pétition en France) parce que son esthétique bouscule le rapport avec « le corps du Christ » et, au-delà, plus largement, dépassant peut-être l’intention de son auteur, la représentation hiérarchisée que nous avons de notre corps.
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