Les signes du désarroi

Extraits d’une interview de Philippe Descola, anthropologue. (A la UneLe Monde du 22 mai). J’ai mis en italique ce que je commente.

« Un virus est un parasite qui se réplique aux dépens de son hôte, parfois jusqu’à le tuer. C’est ce que le capitalisme fait avec la Terre depuis les débuts de la révolution industrielle, pendant longtemps sans le savoir. Maintenant, nous le savons, mais nous semblons avoir peur du remède, que nous connaissons aussi, à savoir un bouleversement de nos modes de vie. »

Comment le capitalisme – un mode de fonctionnement –  pourrait-il « faire » quelque chose ? Autrement dit être sujet ? « Sans le savoir » et « nous le savons » marquent une séparation entre « lui » et « nous » aussi peu pertinente que celle, prétendue, de l’homme et de la « nature » que l’anthropologue dénonce par ailleurs.

Quant à l’étrange « semblons avoir peur », il dénote une incertitude non relative à la peur supposée du remède, mais au contenu du « bouleversement » qu’il ne précise pas plus qu’en évoquant la fin de la séparation entre l’humain et le non-humain.

Il rappelle seulement que « des petits collectifs ont fait sécession (…) Ils mettent l’accent sur la solidarité entre espèces, l’identification à un milieu, le souci des autres et l’équilibre des rythmes de la vie plutôt que sur la compétition, l’appropriation privée et l’exploitation maximale des promesses de la Terre. C’est un véritable cosmopolitisme, de plein exercice. »

En quoi des petits collectifs – ils existent depuis longtemps sous des formes diverses plus ou moins en marge des sociétés – peuvent-ils constituer une réponse à la question globale, planétaire ?

La question suivante et la réponse témoignent du même « plafond de verre ».

Question : « Pourquoi le capitalisme moderne est-il selon vous devenu une sorte de « virus du monde ? » Tout est-il la faute du capitalisme, alors que ces pandémies ne semblent pas être sans lien avec les marchés d’animaux vivants et la médecine traditionnelle chinoise ? »

Réponse: « Sans doute les marchés traditionnels chinois contribuent-ils à la disparition du pangolin ou du rhinocéros. Mais les réseaux de contrebande d’espèces protégées qui les alimentent fonctionnent selon une logique parfaitement capitaliste.

Une nouvelle fois, l’un et l’autre font comme si le capitalisme était une structure douée d’autonomie, comme si le paysan chinois qui vend des animaux vivants dans les marchés traditionnels n’était pas déterminé, lui aussi, par l’équation être = avoir. Combien rapporte un pangolin ?

Et puis, qu’est-ce que le capitalisme « moderne » ? En quoi le principe de fonctionnement de l’entreprise du 21ème siècle diffère-t-il de celui de la manufacture des 18ème et 19ème siècles ?

Y-a-t-il eu un capitalisme moins « virulent ». Qu’en pensent, entre autres, les enfants qui poussaient les wagons dans les mines de charbon ? Les employés des filatures qui travaillaient de douze à quinze heures par jour, six jours par semaine, sans vacances, pour des salaires de misère et sans la moindre protection sociale ?

Question : » Devons-nous également nous abriter derrière nos frontières et nos nations ? Est-ce la fin, non seulement de la mondialisation, mais aussi d’un certain cosmopolitisme ? »

Réponse : « Si l’on parle d’une cosmopolitique au sens du sociologue Ulrich Beck, à savoir la conscience acquise par une grande partie de l’humanité qu’elle partage une destinée commune parce qu’elle est exposée aux mêmes risques, alors on voit bien qu’il est illusoire de fermer les frontières. »

Même esquive de la question essentielle – « mort » n’est jamais prononcé, comme s’il était un mot tabou –  qui consiste à limiter la conscience de la communauté de destin à « une grande partie de l’humanité » et à établir une rapport de cause avec l’exposition des mêmes risques.

Quelle est cette grande partie de l’humanité ? Quelle est la petite ? Et en quoi l’objet de cette communauté de destin est-il différent de celui de la ruche ou de la fourmilière qui savent mettre en place des systèmes de protection ?

Question : «  On parle beaucoup du « monde d’après », au risque de ne pas penser le présent. Que serait-il possible et important de changer le plus rapidement ? ».

Réponse : « On peut toujours rêver. Alors, en vrac : instauration d’un revenu de base ; développement des conventions citoyennes tirées au sort ; impôt écologique universel proportionnel à l’empreinte carbone ; taxation des coûts écologiques de production et de transport des biens et services ; développement de l’attribution de la personnalité juridique à des milieux de vie, etc. »

Une manière de signifier qu’il n’accorde aucun crédit à ce qu’il va énoncer… en vrac.

A quoi bon mettre de l’ordre dans des objets dont l’importance n’est pas en rapport avec l’ampleur du problème ?

L’accumulation – dans le journal Le Monde – de ces interviews qui, en gros, proposent les mêmes ajustements et expriment le même désarroi après les mêmes constats de dysfonctionnements, est-elle un signe…

Du désarroi du journal lui-même ?

Du désarroi de ces personnages sollicités dont les grilles de lecture ne fonctionnent plus ?

Des deux ?

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