Insatisfaction

Il n’y a pas de différence de structure et de fonctionnement entre la ruche que décrit Virgile dans ses Géorgiques (1er siècle avant notre ère) et celle d’aujourd’hui. La société des abeilles donne satisfaction aux habitants de la ruche qu’elle soit antique ou contemporaine. De même pour la fourmilière, et, d’une manière générale, pour toutes les sociétés animales qui ont donc trouvé un point d’équilibre de satisfaction.

Les hommes et les sociétés humaines sont, eux, en permanence dans l’insatisfaction. Les Rolling Stones ont publié en 1965 la chanson (I can’t get no) Satisfaction qui connut un important succès mondial. Les qualités musicales ne sont peut-être pas la seule explication.  

Est satisfaisant (latin satis facere) ce qui « fait assez ».

Mais assez pour quoi ?

Pour permettre d’atteindre un objectif : un élève dont le travail est estimé satisfaisant a fait ce qu’il fallait, il a rempli les conditions pour être admis soit dans une classe supérieure, soit à un examen. Pour obtenir une mention, des félicitations, il lui aurait fallu  « faire plus » que l’« assez » qui lui a suffi pourtant pour réussir.

Pourquoi le satisfaisant de la réussite n’est-il est  pas estimé suffisant ?

« Aurait pu mieux faire » ou « peut mieux faire », notent un peu vite sur les bulletins scolaires certains professeurs qui ont oublié d’examiner la pertinence d’une telle appréciation. Pourquoi le « satisfaisant » traîne-t-il avec lui cette connotation d’un « pas assez » paradoxal plus ou moins implicite ?

L’insatisfaction nous tire ou nous pousse en permanence vers un « plus »,  un « mieux », parfois confondu avec le « plus », qui ne nous permettent pas toujours d’apprécier le « assez » pour ce qu’il est.

Dans le domaine politique, le pouvoir qui arrive en fin de mandat et qui souhaite se représenter, quelle que soit son orientation, propose toujours un programme pour améliorer encore le « mieux » ou le « plus » qu’il dit avoir déjà obtenu.

 La promesse électorale est adressée à ceux dont la situation, les revenus ne sont pas estimés satisfaisants par eux-mêmes, par les candidats et la collectivité.

Le Monde du 14 mai dernier titrait en Une : « Dans les pays riches, la pauvreté à découvert ». Dans les pays d’Europe les plus touchés par le virus, la demande d’aide alimentaire s’est accrue de 25 à 30%. Les banques alimentaires sont  débordées aux Etats-Unis et 30 millions d’Américains ont perdu leur emploi, etc.

La question est volontairement cynique : pourquoi nous préoccupons-nous de cette misère ? Pourquoi ne la considérons-nous pas comme « normale » ? En d’autres termes, pourquoi souhaitons-nous que tous ces pauvres ne le soient pas ?

Le rapport avec la pauvreté et la richesse est ambigu : celle-là dérange, celle-ci est connotée de réussite.

Qu’en serait-il de la faim dans le monde, si, comme les animaux, nous nous nourrissions selon nos stricts besoins biologiques ? Tant de protéines, tant de glucides, tant de lipides, tant d’acides aminés…

Qu’en serait-il de la pollution, si nous limitions nos productions à un essentiel

Mais voilà. Qu’est-ce qu’un essentiel pour une communauté dont tous les membres ont des besoins biologiques identiques mais des appétences différentes ?

Dans la page « idées » du Monde du 17-18 mai – Se libérer du PIB pour mesurer ce qui compte vraiment -, un collectif imagine des solutions dont celle-ci : «  réorientation radicale de la production et de la consommation dans le sens d’une sobriété sélective… » 

Quels critères objectifs peuvent permettre de définir le vraiment ? La sobriété sélective ?

Faut-il fermer les restaurants gastronomiques, les ateliers de la mode vestimentaire, réduire à 1 le modèle de la voiture, de l’avion, supprimer les bijoux, éliminer le tabac, l’alcool, l’agro-alimentaire industriel… la liste est infinie de ce qui renvoie à ce qui ne compte pas vraiment,  au « mieux », au « plus » multipliés jusqu’à la démesure.

D’où vient le besoin qui fit s’embarquer Marco Polo, Magellan, Christophe Colomb, fait s’aventurer les explorateurs dans les forêts, sur les banquises, sur la lune, envoyer des engins dans l’espace interstellaire où les distances défient nos représentations ?

D’où vient ce qui pousse vers ce qui est au-delà de ?

Ce besoin de rendre l’inconnu connu ?

L’analyse poussée dans ses derniers retranchements se cogne une fois encore contre le réel têtu de  ce qui nous différencie essentiellement des autres espèces qui vivent, elles, sans histoire, sans démesure, sans autre exploration que le terrain de leur nourriture, parce qu’elles n’ont pas cet objet d’un connaissable – la mort –  dont la décision  humaine d’en faire un inconnaissable conduit à un transfert d’investissement.

Mais l’art ?

Est-il le produit/compensation de cette décision d’inconnaissable ou plutôt, bien au contraire, l’approche sensible, physique, peut-être même biologique, de cette connaissance dont l’ignorance arbitraire plonge dans l’effroi ?

La musique, par exemple.

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