Le Monde (20/04/2023) publie un article de Raphaëlle Bacqué et Anne Chemin intitulé La fausse retraite de Vincent Bolloré.
Extrait :
« Ce n’est pas seulement le pouvoir qui s’éloigne, c’est la mort qui se rapproche, et, pour le très pieux Bolloré, cette obsession s’accompagne de la lancinante question du salut. Jusqu’à ces dernières années, sa foi le poussait même à se rendre, chaque année, en pèlerinage à Lourdes (Hautes-Pyrénées), une journée au moins, en jet privé. « Heureusement que j’ai ça, avec toutes les conneries que je fais », s’était-il épanché, un jour, devant l’ex-producteur artistique de l’émission « Les Guignols de l’info », Yves Le Rolland, avant de le licencier en 2016, deux ans après la prise de contrôle de Canal+. Vincent Bolloré a aujourd’hui deux « directeurs de conscience » : l’abbé Grimaud, un « tradi », pour lequel il a racheté le foyer Jean-Bosco, près de Passy, dans 16e arrondissement de Paris, et le père Guillaume Seguin, ancien aumônier des collèges privés Stanislas et Saint-Jean-de-Passy, désormais attaché à l’hôpital Cochin. Il prépare son ciel. Pas si facile, quand on a fait de ses manières de pirate unemarque de fabrique dans le monde des affaires et que l’on connaît, comme lui, le chapitre 19 de l’Evangile de Matthieu : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » Sa richesse dépasse, selon les évaluations de Forbes, les 8,5 milliards d’euros.»
Il est l’incarnation parfaite de l’équation capitaliste être = avoir +, en tant qu’il est l’expression vivante de l’une des deux stratégies de contournement élaborées par le déni de la mort telle qu’elle est (le cadavre) et des contradictions qu’il génère.
Le déni consiste à assimiler la mort à ma mort génératrice d’angoisse à cause du rien qu’elle est pour le sujet dont elle signifie la fin de l’existence. En d’autres termes, le refus de reconnaître le savoir du réel de la mort s’accompagne de la nécessité de croire que ma mort n’est pas la fin de qui je suis. Ma mort étant le rien que je refuse, j’applique ce rien à la mort pour dire que je ne sais pas ce qu’elle est.
D’où la contradiction entre le transfert de l’immortalité sur l’objet (transfert fondé sur l’équation qui nourrit le fantasme « plus j’ai, plus je suis, moins je meurs »), et la croyance à l’un ou l’autre des deux paradis qui sont en effet la négation du transfert : l’un, de l’ici-bas (la Révolution des lendemains qui chantent avec l’égalité de possession de l’objet), l’autre, de l’au-delà religieux de compensation ( le mépris de la possession de l’objet, les pauvres économiques ici-bas devenant les riches spirituels dans le paradis).
V. Bolloré ayant choisi le second paradis se trouve donc dans la contradiction en principe la plus grave puisque, en tant que chameau revendiqué, il s’interdit le passage par le trou de l’aiguille. Sa seule chance de salut réside dans l’espoir que dans la balance de la justice divine, l’argent qu’il a dépensé pour l’église et ceux qui croient comme lui allègera la masse du chameau.
Un petit garçon à la foi pathétique et un capitaliste au calcul impitoyable.