*Rappel :
-GFM : Grammaire française « ministérielle » (sur Internet)
– GEQ : La grammaire en questions – titre d’un essai de l’auteur du blog.
La différenciation entre le mode d’expression du réel (indicatif) et les trois modes d’expression des réalités de l’individu (subjonctif, conditionnel, impératif) est relative puisque (cf. article précédent) il est difficile de faire abstraction des affects qui, par exemple, font dire « c’est beau, c’est bien » en omettant « je trouve, je pense que ».
– niveau II – p.144 « Dans les systèmes hypothétiques, où le futur et le conditionnel ont des emplois modaux, la différence entre les deux temps relève de la façon dont l’hypothèse est envisagée : le futur envisage la conséquence certaine d’une hypothèse envisageable au moment présent (Si tu viens, je serai heureux), alors que le conditionnel s’emploie pour indiquer la conséquence d’une hypothèse exclue dans le présent (irréel du présent : Si je le pouvais, je viendrais)ou exclue dans le passé (irréel du passé : Si j’avais pu, je serais venu). C’est en raison de l’importance accordée aux emplois modaux du conditionnel que l’on considérait ce temps de l’indicatif comme un mode. Il est clair aujourd’hui que de tels emplois ne sont rien d’autre que des emplois modaux, que le conditionnel peut avoir au même titre que tous les autres temps de l’indicatif. »
Questions : est-ce que l’expression de l’hypothèse suffit à définir l’emploi du conditionnel ? Pourquoi « ce temps de l’indicatif » alors qu’il y en a deux – si l’on décide de confondre les deux conditionnels passés ? En quoi et pourquoi « Il est clair aujourd’hui que… » ?
GFM rappelle que le grec disposait du mode « optatif » qui servait à exprimer le souhait et la possibilité, entre autres : dans « si tu l’ordonnais, je viendrais » les deux verbes étaient conjugués dans ce mode. Il a disparu en latin qui l’a « fondu » dans le subjonctif. Le français aurait donc appelé « mode conditionnel » trois formes qui ne seraient en réalité que des temps de l’indicatif ?
Si je dis « J’aurais beau satisfaire tous tes désirs, tu ne serais pas satisfait » s’agit-il essentiellement de l’expression d’un temps (satisfaire maintenant, ou dans huit jours ou six mois ou jamais ?) de l’indicatif employé comme un mode ? Ne s’agit-il pas plutôt de l’expression d’une subjectivité connotée d’intemporalité ?
Est-ce que la suppression du conditionnel en tant que mode contribue à rendre l’analyse plus claire ?
Plutôt que de réduire le champ des significations du conditionnel, il convient au contraire d’en montrer l’étendue pour la raison déjà dite qu’il est, comme toutes les formes d’expression, celle du vivant avant d’être celle des grammairiens.
Il faut donc expliquer que si le subjonctif est le mode de notre réalité (subjective), le conditionnel vise essentiellement dans cette subjectivité la partie spécifique de notre imaginaire pour ce qui ressortit – pour résumer – au possible et à l’impossible présent, futur ou passé. De ce point de vue, il est particulièrement un mode d’expression de l’espoir, du rêve, du regret.
1- Si tu viens je serai heureux
2 – Si tu venais je serais heureux
>1, le rapport entre les deux propositions est de condition/situation et les deux verbes sont à l’indicatif pour le « jeu » qui consiste pour le locuteur à (se) persuader que ce qu’il est dit est/sera le réel (cf. la répartition des rôles dans le jeu des enfants – moi, je suis/serai le gendarme, toi, tu es/seras le voleur – … ou des adultes jouant à être ce qu’ils ne sont pas)… avec, selon le contexte, une pression mise sur le destinataire du message = veux-tu me rendre malheureux ?
>2, même rapport, avec une différence de tonalité. L’imparfait et le conditionnel présent pour un message autre : selon le contexte, le locuteur sait que la venue est :
– possible : la demande concerne le présent et « tu » habite dans l’immeuble voisin – elle concerne le futur et « tu » peut habiter loin => expression d’un potentiel (du verbe latin posse : pouvoir). La pression peut être analogue.
– impossible : « tu » habite loin – « tu » est immobilisé pour longtemps par un handicap, un interdit => expression de l’irréel du présent/futur. Dans ce cas, l’explication conduit à s’interroger sur le sens de cet irréel : sadisme, par exemple.
GFM ne reprend pas le -1 dans la configuration du -2 ce qui lui permet de ne retenir que l’irréel du présent dans l’association imparfait/conditionnel présent (Si je pouvais, je viendrais).
3 – Si tu étais venu j’aurais été content.
Plus-que-parfait (= plus qu’achevé – parfait = fait jusqu’au bout) de l’indicatif dans la première, conditionnel passé dans la seconde, rapport d’une condition non réalisée : expression dominante du regret avec d’autres connotations possibles. L’expression la plus remarquable de l’insatisfaction, de la mauvaise rumination.
La seule utilisation (apparemment) purement temporelle du conditionnel est celle qui indique un futur par rapport à un passé.
Comparaison :
1 –Je pense que tu viendras
2 – Je pensais que tu viendrais
> 1, la deuxième proposition renseigne sur le contenu de la pensée (en grammaire traditionnelle = proposition principale au présent + proposition subordonnée complétive conjonctive au futur simple, complément d’objet direct). Les deux indicatifs signifient un réel subjectif : la venue n’est pas certaine mais elle est présentée comme si elle l’était (cf. le « jeu »), avec une pression possible.
> 2, la tonalité n’est plus la même : si viendrais indique bien une postériorité par rapport à pensais, ce n’est pas son sens essentiel : le message est, selon le contexte, par exemple celui du regret, du reproche. Le réel du -1 s’est estompé et l’indicatif pensais est en quelque sorte mangé par le conditionnel viendrais : s’il y a bien un réel il est celui de la tristesse ou de la colère du présent du locuteur, un affect absent, hors contexte, du -1.
Faire du conditionnel un simple temps (= futur du passé), même dans cette configuration, conduit à un appauvrissement du sens.
Question à GFM : s’il est vrai que tous les temps de l’indicatif peuvent avoir des valeurs modales (subjectivité) est-ce que celles des conditionnels sonnent comme elles ? Ou, inversement, dans quel cas un conditionnel peut résonner comme l’expression du réel analogue à celle d’un des temps de l’indicatif ?
Reste la question des trois modes non personnels.
(à suivre)