*Rappel :
-GFM : Grammaire française « ministérielle » (sur Internet)
– GEQ : La grammaire en questions – titre d’un essai de l’auteur du blog.
Les mots pour le dire.
GEQ : « De la même façon qu’ils connaissent les noms complément et objet mais ne savent pas ce qu’est un complément d’objet, les élèves peuvent assez bien expliquer ce qu’est une mode (vestimentaire, alimentaire) mais sont muets quand il s’agit du mode verbal et répondent en citant plus ou moins exactement la liste qu’ils ont apprise par cœur. (…) »
Ces élèves sont ceux – collège, lycée – qui étaient hospitalisés dans les services de pédiatrie mais qui, pathologies mises à part, n’étaient pas scolairement parlant différents des autres. Je ne prends pas beaucoup de risques en disant que les élèves ne savent toujours pas expliquer ce qu’est un mode. Et pas seulement eux.
« (…) Etant donné qu’il [le mode] ne désigne pas une manière de conjuguer (les temps seraient alors des modes) mais une manière de considérer, de présenter un événement, quel est le point de rencontre de sens entre les quatre modes conjugués dits personnels (indicatif, subjonctif, impératif conditionnel) et les trois non conjugués dits impersonnels (infinitif, participe, gérondif) ? »
Conjuguer. Le mot vient du latin jug = joug. Des conjoints sont donc attelés au même joug – une étymologie qui donne à penser…
Quand je conjugue un verbe je le joins à un quelque chose qui va entraîner des modifications de formes.
Un quelque chose qui peut être :
– une personne : Je pense et tu penses se différencient par le -s caractéristique de la deuxième personne du singulier – le latin n’utilisait pas de pronoms personnels et les personnes se distinguaient par une désinence constituée d’une ou plusieurs lettres – la première personne du singulier n’a pas de désinence pour les verbes du 1er groupe => infinitif en -er).
En plus de la personne :
– un « temps » : je pense/ je pensais
– ou encore… et là se trouve le problème posé par GEQ : Je viens /Il faut que je vienne. Viens et vienne se distinguent essentiellement non dans la relation avec je ou avec le temps, mais avec un quelque chose qui va se traduire par un changement de ce qu’on appelle mode.
Ce quelque chose est précisément le rapport avec ce qui n’est pas soi, c’est-à-dire le monde (le vivant, les objets).
Vivant dans le monde, que puis-je faire par mon discours du rapport avec lui ?
J’ai le choix entre deux possibilités et deux seules :
1° le décrire tel qu’il est.
2° tenter de le modifier par ma subjectivité, c’est-à-dire mon existence en tant que sujet.
1° le monde réel, c’est-à-dire reconnu comme réel par un consensus. Si je dis « la terre est ronde », « j’aime la tarte aux pommes », je décris deux réels objectifs de nature différente, objective-scientifique pour la terre (la démarche scientifique étant reconnue comme le moyen de connaissance du réel pluriel), objective-subjective pour la tarte (le fait d’affirmer, en tant que sujet, une préférence, étant reconnu comme un réel singulier).
Le mode (moyen) utilisé pour décrire le réel est l’indicatif, du latin indicare = indiquer, dénoncer, révéler.
Le rapport entre indicatif et réel n’est pas toujours exprimé de manière adéquate : dire « il fait beau/mauvais, ce tableau est beau/laid, c’est bien/mal… » renvoie à des critères supposés reconnus objectifs et qui sont en fait des subjectivités idéologiques individuelles ou collectives. Le météorologiste (scientifique) qui annonce une « belle journée » ne tient pas un discours scientifique.
2° Tenter de modifier le réel témoigne d’une insatisfaction : ce que je connais, vois, entends… du réel ne me satisfait pas et je construis un discours pour le changer.
Je dispose de trois modes possibles :
-l’impératif (du latin imperare = commander – ce verbe est une extension de parere = produire, enfanter – le sens de commander <= faire des préparatifs en vue de produire quelque chose, faire des réquisitions) : Viens ! Partez !
– le subjonctif (du latin subjungere : mettre sous le joug, faire dépendre… en grammaire, d’un autre verbe) : Je veux, souhaite, crains (l’indicatif indique un réel) que tu (ne) viennes.
– le conditionnel (du latin dicere = montrer, désigner (cf.index) qui a donné le nom dicio = proclamation officielle, puis condicio désignant la formule d’accord avec quelqu’un, d’où un sens de condition = manière d’être). Je voudrais que tu viennes.
Ces trois modes visant une modification du réel servent à l’expression de ma réalité.
L’asymétrie entre le seul mode d’expression du réel et les trois autres d’expression de ma réalité est significative de la problématique spécifiquement humaine de l’insatisfaction. (cf. entre autres, les articles « Etat des lieux – ce que nous sommes. 20/09/2020)
Elle sera donc complétée sous l’angle grammatical.
(à suivre)