Nora Hamadi avait invité (25/03/2023) dans son émission Sous les radars (France Culture) intitulée « Faut-il repenser notre contrat social ? » – en référence à l’essai du philosophe jamaïcain-américain Charles W. Mills Le contrat racial (1997) – Souleymane Bachir Diagne, philosophe, professeur de philosophie française et africaine à l’université de Columbia (New York)
Le discours de son émission est toujours intéressant en ce sens qu’il est celui de constructions de problématiques (= une question n’est pas réductible à son objet-titre, elle s’inscrit dans un processus).
L’analyse que fait son invité, du racisme, de la colonisation, de ce qui sous-tend l’idée de contrat-social et de l’universalisme est de cet ordre. Il explique notamment en quoi l’affirmation des « bienfaits » de la colonisation – comme la création d’une école – est constitutive de l’idéologie du colonisateur dont cet extrait récent du florilège diffusé dans l’émission illustre la persistance de l’esprit : « Le devoir de l’Europe c’est d’abord et avant tout de protéger et avec beaucoup d’humanité le peuples européens, les protéger et leur garantir un droit fondamental, le droit de rester eux-mêmes. Il ne faut certainement pas ouvrir cette frontière, il ne faut certainement pas accueillir ces migrants dont beaucoup sont potentiellement dangereux. [On entend une voix objecter : « On les laisse mourir de froid derrière les barbelés ? » ] Bien sûr que oui, bien sûr que oui ! »
Souleymane Bachir Diagne aurait pu faire remarquer que le « rester eux-mêmes » que l’orateur invoque comme un absolu ontologique présenté comme de la même évidence que le cogito (cogito ergo sum = je pense donc je suis) de Descartes contient l’esprit de colonisation, entre autres.
Après l’écoute du florilège, Nora Hamadi lui demande « Il existe un mal profond dans notre rapport à l’autre, à l’altérité, qu’est-ce que ça dit de notre contrat social ? »
Après avoir rappelé le concept de « justice raciale » de Charles W. Mills repris aujourd’hui par Lumumba Bandele dans le contexte du Black Lives Matter, S.B. Diagne ajoute – anticipant une objection des contempteurs du « woke », un mot dont il souligne l’imprécision de l’emploi – que le combat n’est pas contre l’universel mais au nom de l’universel, qu’il s’agit non d’une lutte de particularismes contre l’universel, mais d’un combat international pour « réaliser une universalité vraiment universelle, c’est-à-dire de la justice sociale, d’un véritable pluralisme, qui soit un pluralisme inclusif. »
L’absence de « commun » – le mot n’a pas été prononcé – différent d’universel en ce sens qu’il renvoie à l’homme concret, à l’individu dans son rapport d’identité avec l’autre – explique sans doute la dimension à la fois généreuse et vague de cette proclamation d’un idéal.
Je ne vois rien qui soit un universel objectif, dénué de toute idéologie, si ce n’est la conscience spécifique de l’espèce humaine et l’objet de cette conscience.
Pour ceux qui arrivent dans le blog : il s’agit du discours biologique et psychique perçu par l’individu humain dès l’âge de 3 ou 4 ans, qui le constitue en tant que membre de l’espèce humaine, et dont le déni – la mort affirmée a priori comme un non-savoir devient objet du verbe croire… sans doute créé pour cela – conduit à des stratégies de contournement, en particulier l’investissement sur l’objet (accumulation) justifié par l’équation « être = avoir + ». Le fonctionnement du capitalisme dont la définition est généralement réduite aux formes modernes industrielles et commerciales apparues à la fin du 18ème siècle et aux injustices sociales qu’elles créent, a été analysé par Marx et la théorie de son remplacement par le socialisme/communisme expérimentée en URSS. Le fiasco explique pourquoi commun est aujourd’hui pratiquement imprononçable.