Cet article et les suivants concernent le manuel Grammaire du français. Ils complètent ceux des 8 et 9 décembre 2022, intitulés Orthographe et grammaire.
Ce document officiel destiné à tous les professeurs est une nouvelle illustration de ce que j’appelle le « discours d’enseignement de l’école » (le rapport au savoir et à son questionnement), dont je dis et répète qu’il est depuis longtemps obsolète* et inaudible – ce qui explique pour l’essentiel les difficultés de l’école d’aujourd’hui.
*L’obsolescence concerne le rapport entre ce que dit le discours et son acceptation par celui à qui il est adressé, et non l’exactitude de son contenu, qui peut être faux. Par exemple : quand j’ai appris le latin, en 6ème, on nous expliquait que les désinences (ce qui indique les fonctions d’un nom dans la phrase latine) de la première déclinaison ( les noms en -a qui ont donné des noms français en -e : rosa > rose, athleta > athlète etc.) étaient – am (pour le complément d’objet), – ae (pour le complément du nom) etc., ce qui est faux (c’est encore enseigné), mais que nous apprenions par cœur sans discuter parce qu’il n’était pas imaginable que l’école puisse dire autre chose que le vrai.
En juin 2020 le ministère de l’Education nationale a publié une Grammaire du français (disponible sur Internet) « destinée prioritairement aux professeurs du premier degré et aux professeurs de lettres, mais aussi à tous les enseignants qui sont susceptibles d’avoir recours à ces notions dans leur enseignement. (…) Le présent ouvrage se propose, à la lumière de travaux scientifiques et universitaires récents et consensuels, de définir une base terminologique de référence et de la justifier par une description raisonnée du système de la langue. » (Avant-propos p.3)
Il s’agit donc d’ « un outil de formation » des professeurs, est-il précisé un peu plus loin, en particulier pour l’enseignement de la grammaire.
Le sous-titre « Terminologie grammaticale » mérite un mot de commentaire : la terminologie est un « discours » (- logie vient du grec logos = discours, parole) concernant des notions employées dans tel ou tel domaine de la connaissance. Ainsi, arpège, octave, majeure, mineure etc. sont des mots qui font partie du domaine de la musique et la terminologie consistera non seulement à en dresser la liste mais à les expliciter. Si arpège et octave sont propres au domaine musical, majeure et mineure s’utilisent dans d’autres domaines (philosophie, droit), ce qui veut dire que le mode d’explication ne sera pas le même pour les uns et les autres, dans le sens où il faudra par exemple que je précise en quoi majeure ou mineure ont un sens autre que dans le syllogisme ou le code civil.
La grammaire concerne le langage et le langage étant un des composants essentiels de tout ce qui est vivant, le contenu de « terminologie » appliquée à la grammaire, ne peut pas être un équivalent de l’explication d’arpège et octave, mais de majeure et mineure.
Expliquer la grammaire, c’est expliquer le langage, c’est donc expliquer le vivant.
Le livre comprend deux « niveaux » :
– le niveau I : 1 – fonction des mots et des groupes de mots (phrase, sujet, attribut, compléments…) 2 – Phrase et propositions (les types de phrases) 3 – Nature des mots et des groupes de mots (noms, verbes, adjectifs, pronoms…) 4 – Le lexique (formation des mots, champs lexical…)
– le niveau II : 1 – phrase simple, phrase complexe 2 – fonction des mots et groupes de mots 3 – la nature des mots et groupes de mots (nom, adjectif, déterminants…)
4 – le lexique (morphèmes, mots composés, champ lexical…)
– une conclusion générale suivie de tableaux, d’un index et d’une liste d’abréviations.
Commentaire : la distinction entre les structures élémentaires (niveau I – 38 pages ) et le système de la langue (niveau II – 125 pages) est établie sur le présupposé d’un double niveau du langage fondé sur l’implicite et évident « bon sens » qui constate qu’on peut parler le français sans nécessairement savoir par exemple ce qui différencie une phrase « simple » d’une phrase « complexe ». Ce qu’illustre la dissymétrie d’importance des deux « niveaux » (38 pages <>125 pages) et les « niveaux » d’explication.
Par exemple : le complément d’objet est traité dans le niveau I (une quinzaine de lignes – p.15) et à nouveau dans le niveau II (2 pages à partir de la p.84) avec des redites.
Par ailleurs, les chapitres du niveau II contiennent des approfondissements sous les chapeaux histoire de la langue » et pour aller plus loin.
Ce choix de « niveau » est significatif d’une idéologie selon laquelle le langage est un outil qu’il est possible de découper en plusieurs strates qu’il faut nécessairement apprendre successivement, la connaissance des premières (niveau I) n’étant pas forcément complétée par celle du niveau II. Ainsi, le niveau I (où l’on trouve nombre de tableaux, de schémas) correspond à un minimum que le niveau II (plus de texte) permet, éventuellement, d’approfondir.
Concrètement : dans les deux niveaux – surtout dans le niveau I – les auteurs vont dérouler une liste de nomenclatures et de repérages déconnectés du sens.
Un exemple, tiré du niveau I, p.15 : « Dans « Le facteur distribue le courrier », le GV [groupe verbal]« distribue le courrier » est formé d’un verbe (distribue) et d’un GN [groupe nominal] de fonction complément d’objet direct (le courrier).On notera que ce groupe nominal complément d’objet direct (GN COD) peut être remplacé par un pronom (Il le distribue). Lorsque le complément d’objet est un groupe nominal prépositionnel (GNP), c’est-à-dire un GN précédé d’une préposition, on parle de complément d’objet indirect (dans « Le facteur parle à la voisine », le GNP à la voisine est COI de parle)»
Dire que « le courrier » et « la voisine » ont la même fonction (complément d’objet) est un non-sens. J’y reviendrai.
Je propose, dans la lecture critique de ce discours, une approche autre de l’apprentissage de la grammaire : à partir du vivant.
(à suivre)