L’heure choisie par E. Macron pour s’adresser au pays – 13 h 00 – est significative d’une intention et – il est presque 10 h 00 – le marc de café ou la boule de cristal sont inutiles pour deviner quel sera le contenu de son discours.
Le mouvement des gilets jaunes (cf. article du 13/11/2019) commencé en octobre 2018 a révélé d’une part l’importance d’un désarroi atypique, d’une nature autre que les expressions de contestation dont les organisations syndicales ou politiques sont traditionnellement les porte-parole, d’autre part les limites d’une manifestation massive sans perspective, donc sans structure.
Si ce qui a suscité le mouvement n’a pas disparu, l’inadéquation de son expression – aucun résultat tangible – est désormais perçue collectivement, plus ou moins consciemment, et c’est elle qui peut expliquer le choix d’E. Macron.
Qui regarde la télévision à 13 h 00 ? Ou plutôt, quel est le sens d’une intervention du président de la République au milieu de la journée ?
Elle s’adressera à ceux qui sont chez eux, à une heure où le « chez soi » signifie le « hors-lieu physique et social du travail », donc radicalement différent de celle (20 h 00 ) où le hors-lieu physique n’est que le complément nécessaire du hors-lieu social.
Autrement dit, il décide de privilégier l’individu qui a été le composant essentiel du mouvement des gilets jaunes caractérisé par l’errance du désarroi.
Si l’opposition à la réforme des retraites – déclenchée puis maintenue dans la durée exclusivement (CFDT) par le report à 64 ans – se manifeste dans une structure syndicale, c’est parce que la cible finale est visible et simple à formuler.
Ce qui s’est récemment passé à la chambre des députés a pu ressembler, par la violence des mots, des attitudes (celle des Insoumis), à ce qu’exprimaient les occupants des ronds-points, seuls, solidaires, cherchant ensemble du sens dans les constructions provisoires.
Il est probable qu’en s’adressant aux individus de 13 h 00 le président va jouer la carte de la mémoire, plus ou moins enfouie, d’un mouvement perdu, pour tenter de faire accepter, par défaut, l’argumentaire de l’ordre sous ses formes institutionnelles, faisant le pari que 64 n’est pas suffisant pour être – au-delà des syndicats limités par le coût des grèves et le tracé précis des manifestations autorisées – le catalyseur d’un nouveau mouvement de masse durable.