Richard Wagner – Der Ring des Nibelungen ( L’anneau du Nibelung – La Tétralogie) (7 et fin)

La mise en scène de Patrice Chéreau, choisi en 1976 pour le centenaire de la première représentation du Ring et dont Pierre Boulez assura la direction musicale, fut accueillie par des huées et suscita un scandale lors de la première. Quatre ans plus tard, la représentation ultime fut applaudie pendant une heure et demie avec plus de cent rappels. Il existe, à côté des enregistrements (réalisés en studio), un enregistrement vidéo de cette réalisation – les prestations vocales ne sont pas toujours très séduisantes, et l’ensemble – orchestre et chant – est, pour moi, nettement moins intéressant que la version enregistrée par G. Solti.

P. Chéreau transpose l’histoire racontée dans le Ring des lieux mythologiques où elle est censée se dérouler dans l’Europe capitaliste du 19ème siècle, donc à l’époque où vécut Wagner. D’où le scandale initial pour un public qui ne venait pas à Bayreuth pour voir construire sur la scène de l’opéra la problématique du monde réel. Wagner avait pourtant choisi cette petite ville pour se distancier des lieux traditionnels de l’opéra.

C’est pourtant bien son monde réel que représente Wagner dans le Ring. L’utilisation de la métaphore d’une mythologie s’explique à la fois par la recherche de l’absolu que l’art cherche à atteindre au-delà des contingences et à exprimer en tenant compte des codes qui lui sont attachés, notamment ceux du « jeu » que j’ai tenté d’expliciter dans l’article précédent.

Il s’agit de pouvoir, de richesse et de leur rapport d’incompatibilité avec l’amour.

L’histoire commence et se termine dans l’eau (élément premier) où évoluent les trois filles du Rhin chargées de conserver l’or en tant que symbole, hors des représentations de pouvoir, de richesse et des luttes pour les acquérir.

Alberich, le maître des Nibelungen qui demeurent dans l’obscurité des profondeurs de la terre – essaie vainement de séduire les filles qui se moquent de lui. Il parvient à voler l’or et au prix du renoncement à l’amour forge l’anneau (ring) qui assure le pouvoir suprême.

L’or (richesse) et l’anneau (pouvoir) sont au centre des conflits qui vont opposer les Nibelungen Alberich et son frère Mime, au dieu Wotan, aux deux géants Fafner et Fasolt, à Sigmund et Sieglinde (enfants de Wotan), à Siegfried leur fils et Brünnhilde (la Walkyrie, fille de Wotan), enfin aux Gibischungen Hagen, Gutrun et Gunther.

L’amour, incarné à la fois par le couple divin infertile Wotan/Fricka et par des couples incestueux (Wotan/Erda, Siegmund/Sieglinde, Siegfried/Brünnhilde), est impossible dans cette configuration de la lutte pour la possession de l’or/pouvoir, qui détruit jusqu’à l’innocence pure (Siegfried).

Le dieu Wotan, dont le comportement est déterminé (avec l’aide de Loge) par le calcul et la ruse, apparaît comme la figure lasse, désabusée, d’un monde finissant et qui aspire à sa propre fin. Le palais (burg) qu’il s’est fait construire au prix d’un marchandage sordide s’écroule à la fin dans les flammes tandis que les filles du Rhin récupèrent dans l’eau qui engloutit Hagen (meurtrier de Siegfried, allégorie du calcul, de la ruse, de la cupidité), l’or qui retrouve la valeur symbolique qu’il avait avant le vol d’Alberich.

Le monde ancien mort, l’histoire de l’homme peut commencer.

Difficile de ne pas apercevoir la silhouette synchronique de Marx fixant le début de l’Histoire humaine, après le renversement du capitalisme et la dictature provisoire du prolétariat, dans l’avènement du communisme.

La différence essentielle entre les deux se trouve dans la dimension révolutionnaire du discours tel qu’il est créé, politique pour Marx, musical pour Wagner.

Techniquement, la composition wagnérienne suit les règles de la musique tonale – elle s’appuie principalement sur la tonique et la dominante de la gamme considérée (do et sol pour la gamme de do) – mais elle utilise des procédés qui dérangent l’ordre convenu, par exemple les appogiatures (introduction d’une note qui ne « « convient » pas, provoque une insatisfaction et appelle donc une résolution), comme déjà celle de Bach, et plus tard celle de Mahler. Je ne reviens pas sur la rupture des codes de l’opéra traditionnel.

La musique de Wagner est une musique d’insatisfaction permanente, inaboutie, sans fin, composée d’une succession d’éléments parfaitement aboutis. Parmi les innombrables exemples – si vous disposez de Spotify  : dans le Crépuscule des Dieux ( G. Solti)   – l’entrée 143,  à la 9èmeminute et 20 secondes – la voix de Christa Ludwig soutenue par les cors d’harmonie.

De ce point de vue, elle est radicalement différente de celle de Mozart – avec une nuance pour Don Giovanni – dont j’ai dit qu’elle est à mon sens l’expression la plus aboutie de la joie (article précédent), la joie de l’enfant tenant la main de l’adulte. Elle est, non au contraire, mais complémentairement, l’expression de la tragédie humaine transcendée par le geste de l’adulte tenant la main de l’enfant.

Je conseille à cet adulte de lire le  poème-récit puis de refermer le livre pour laisser l’enfant écouter.  

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