Dans Les Matins (30/01/.2023) de France Culture, étaient invités Philippe Manière (ESSEC, Institut Montaigne…) et Thierry Puech (Ecole Normale Supérieure, La République des idées, Terra Nova…) pour débattre du projet de réforme. Le premier, disons centre-droit, le second, disons à gauche.
Débat courtois, au ton mesuré, sans intempestives interruptions de parole. Bref, un dialogue. Les deux hommes qui s’appellent par leur prénom se connaissent bien et donnent l’impression de s’apprécier.
Leur argumentaire me conforte dans l’idée que 64 ans – âge légal pour le départ en retraite prévu dans le projet du gouvernement – est essentiellement, pour les partisans de la réforme comme pour ses opposants, le signe d’une problématique dont la retraite n’est qu’un constituant et que ni l’un ni l’autre des débatteurs n’aborde, pas plus que les syndicats unis et les partis qui rejettent le projet.
L’un et l’autre débattent dans la sphère « politique/réforme » échangeant des arguments pour (Ph. Manière) ou contre (Th. Pech).
« Beaucoup de bruit pour rien, » dit Ph. Manière évoquant la distorsion – selon lui – entre les effets de cette disposition (64 ans) et l’ampleur des réactions hostiles, en particulier la manifestation du 19 janvier et celle du 31, annoncée encore massive.
Chiffres à l’appui, Ph. Manière explique ce qu’il estime être finalement être une modification d’importance toute relative, compte-tenu des ajustements encore possibles pour les situations particulières. Son discours, très mesuré, de l’ordre de la conviction « de bon sens » appuyé sur des projections, des chiffres et des comparaisons européennes, n’est pas très éloigné de celui de la CFDT, syndicat majoritaire, dit « réformiste » pour le distinguer de la CGT, qui a appelé à manifester le 19 et qui appelle à nouveau pour le 31 parce que la « ligne rouge » des 64 ans a été franchie.
Ceux qui seront directement et sensiblement touchés sont ceux qui ont commencé à travailler très tôt et qui devront donc attendre 64 ans, au-delà même du nombre des annuités requises de cotisation. De même, ceux qui n’auront pas eu une carrière professionnelle à plein temps, dont les femmes que les maternités auront obligées à des emplois « à trous ».
Seulement, pour être pris en compte par la collectivité, ce problème doit entrer dans la problématique du commun, contenu et objet de la retraite par répartition dont le principe et les modalités furent définis à la Libération, un moment de notre histoire où « commun » était chargé d’émotion et de rêve.
Or, ce problème concerne des catégories aux connotations idéologiques dépréciatives, plus ou moins explicites : les sans-diplômes et les femmes, dont les salaires sont toujours inférieurs à ceux des hommes et les agressions toujours aussi nombreuses.
Le pari gouvernemental et celui des opposants est à mon sens déterminé par ce rapport au commun… que n’ont pas abordé les débatteurs et qui ne l’est pas non plus par ceux qui soutiennent le projet de réforme, si ce n’est par des invocations de justice et de progrès, ou ceux qui le rejettent, si ce n’est en soulignant l’aggravation des conditions de vie pour les travailleurs les plus défavorisés.
Le risque, pour le gouvernement, est de devoir utiliser le passage en force à l’Assemblée (article 49-3), pour les syndicats et les partis d’opposition, un affaiblissement des manifestations, avec comme conséquence, pour les uns et les autres, l’ouverture d’un espace incontrôlable à de nouveaux « gilets jaunes » plus radicalisés et à une jonction avec le RN, pour tout autre chose que le signe 64.