LA CAUSE PREMIERE (5)

Le marteau frappant dans la morale renverse les définitions.

Pour Nietzsche, ce qui est « bon » n’est pas défini par l’autre, celui à qui serait destiné l’acte qu’il qualifierait alors de « bon » pour lui et dont il dira qu’il est accompli par quelqu’un de « bon » : le bon n’a rien à voir avec l’altruisme. Non. Ce qui est « bon » c’est le sujet agissant pour lui et qui s’affirme comme tel ; il ne s’agit donc pas d’une valeur morale en ce sens qu’il n’y a pas de distinction entre l’acte et celui qui le commet, pas d’intentionnalité, pas de choix d’être ou ne pas être bon. Le mauvais est au contraire celui qui est frappé d’impuissance, qui ne peut pas agir. Ainsi, bon et mauvais ne ressortissent pas à des jugements mais sont des constats d’essence.

Nietzsche développe cette thèse dans La généalogie de la morale par la métaphore de l’aigle et de l’agneau. L’aigle qui mange l’agneau est bon en tant qu’il est l’expression de la volonté de puissance de ce qui constitue sa nature d’aigle.  Volonté de puissance étant à comprendre dans le sens de vouloir, désir de la puissance constitutive de l’être, et non dans le sens de volonté de puissance sur l’autre, de domination de l’autre, comme le dit la récupération idéologique, et comme le dit aussi l’homme du ressentiment : frustré par son impuissance, tourmenté de haine recuite enfouie, il accuse l’ « aigle » d’être méchant : il aurait la possibilité de vouloir ne pas être aigle, donc s’il choisit d’être aigle c’est par méchanceté.

«  Les hommes de haute naissance avaient le sentiment d’être les heureux ; ils n’avaient pas besoin de construire artificiellement leur bonheur en se comparant à leurs ennemis, parfois même de s’en persuader en se mentant à eux-mêmes (comme font couramment tous les hommes du ressentiment) ; et de même en leur qualité d’hommes complets, débordants de vigueur et, par conséquent, nécessairement actifs, ils ne savaient pas séparer le bonheur de l’action, – chez eux, l’activité est nécessairement mise au compte du bonheur (…) Si l’on se représente l’ « ennemi » tel que le conçoit l’homme du ressentiment, – on constatera que c’est là son exploit, sa création : il a conçu l’ « ennemi méchant », le « méchant » en tant que notion fondamentale, à partir de laquelle il imagine, comme imitation et comme antithèse, le « bon » ; –  qui n’est autre que lui-même !… » (La généalogie de la morale1ère dissertation « bien et mal » – 10) 

Ainsi, le christianisme est l’expression la plus achevée du ressentiment, par la glorification de la souffrance, de l’humilité, de la faiblesse (cf. la vie et la mort de Jésus, le fils de Dieu),  en d’autres termes par la haine de la vie réelle au profit d’une vie illusoire dans l’au-delà –  un nihilisme que combat Nietzsche – où le Dieu vengeur élèvera les humbles et abaissera les puissants.   

Tel est le discours de revanche de l’homme du ressentiment contre l’homme de la race supérieure.

C’est là, précisément, que commence, avec la question que pose cette thèse si on applique la volonté de puissance aux rapports sociaux, l’hypothèse d’une lecture du discours philosophique de Nietzsche en tant que conte. (Dans le réel, le rapport, immuable,  aigle/agneau, ne produit pas « l’agneau du ressentiment » : l’agneau n’accuse pas l’aigle de méchanceté)

On verra que cette question est un constituant de la problématique de la cause première, objet de ces articles.

(à suivre)

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