COMMUN (9)

Aborder la problématique du commun humain commence par son identification.

Et d’abord, cette question : qu’est-ce qui conduit l’homme à se préoccuper en permanence de la gestion de ce commun ? Ou, si l’on préfère, qu’est ce qui empêche la construction d’un commun humain stable, pérenne, qui, une fois pour toutes, donne satisfaction à tous, comme la ruche ou la fourmilière qui ignorent les corpus théoriques réformistes ou révolutionnaires ?

Question d’autant plus importante que cette préoccupation est rarement paisible parce qu’elle touche à la possession.

La propriété privée apparaît en effet comme la clé de voûte de l’édifice humain et vouloir modifier le rapport privé/commun dans le champ théorique ou politique (Platon, Tiberius Gracchus, Rousseau, Proudhon, Marx…) suscite le plus souvent sinon toujours des réactions passionnelles. 

Elle touche à l’objet matériel.

La religion l’exclut en présentant le désir lié à la possession comme méprisable (cf. le riche, le chameau et le chas de l’aiguille) puisqu’il concerne le corps et ses jouissances alors que l’essentiel est la nourriture spirituelle de l’âme immatérielle.

Le discours profane rejoint le discours religieux par un tour de passe-passe idéologique en assurant que l’argent ne fait pas le bonheur.

L’objet matériel et sa possession sont au contraire au cœur du projet révolutionnaire communiste qui se construit à partir des rapports de production et de la place qu’y occupe le travailleur à émanciper.

La religion et le projet communiste se rejoignent sur le rejet du sujet/individu en tant qu’expression complexe de désir et d’inconscient. Pour le catholicisme le prêtre dans son confessionnal est là pour régler les problèmes que le projet communiste taxe de nombrilisme bourgeois.

Pour la religion historique, le rapport de l’individu au roi est analogue de ce qu’il est à Dieu, il correspond au sens étymologique de « sujet » : placé dessous, soumis

Dans le projet communiste, le sujet est évacué, évidemment en tant que soumis, mais encore en tant qu’individu de désirs de conflits personnels puisqu’il est défini par sa place dans les rapports de classes eux-mêmes déterminés par les rapports de production. Le déni de l’importance de la vie de l’esprit va jusqu’à la stupidité : « Le pape, combien de divisions ? » demandait Staline.

Parvenu à ce point de ma réflexion, il m’apparut (pour ceux qui l’auraient oublié, il s’agit quand même aussi d’un récit) nécessaire de faire un crochet par la grammaire, avec le risque de susciter une réaction peu enthousiaste. Les souvenirs laissés par l’enseignement de la grammaire sont rarement réjouissants.

Il n’est donc pas inutile (là, il s’agirait plutôt d’un discours) de rappeler que la grammaire (les règles qui régissent le langage) n’est pas inventée par les grammairiens, mais par la gorge le nez, la langue musculeuse et la bouche des gens qui traversent les siècles en même temps que les pays et les continents. Comme il faut bien un jour ou l’autre faire le point et rédiger un code de « bonne conduite » (ce n’est pas vrai que pour le langage), surviennent alors des spécialistes appelés grammairiens qui ont pour mission de formuler ces règles… dans un langage qui demande souvent une traduction… traduction faite par d’autres spécialistes en pédagogie… dont le langage lui-même n’est pas toujours sans susciter quelques réactions d’étonnement, au moins : même s’il faut faire la part du canular qui suivit, certains « pédagogistes » très sérieux du début du siècle émirent par exemple l’idée de nommer le ballon de jeu, celui de la cour de récréation dans lequel les écoliers donnent des coups de pieds, « référentiel bondissant ». Signe parmi d’autres d’un besoin de confidentialité, d’arcanes pour ce qui touche au savoir.

Pour ceux qu’intéresse cette problématique particulière, je signale deux livres qui l’abordent : le premier, qui analyse le rapport entre la maladie et l’enseignement (L’enseignement à l’hôpital ou La leucémie et le complément d’objet direct – L’Harmattan) fait le constat du fiasco de l’enseignement de la grammaire, le second (La grammaire en questions – Edilivre) propose une réflexion sur le langage utilisé pour l’enseignement de la grammaire.

Le complément d’objet est à mon sens un point essentiel de la problématique du commun, précisément parce qu’il concerne le rapport au sujet et il est une illustration de l’idéologie de ce que j’appelle le discours global d’enseignement, ou, si l’on préfère, le signe d’un refus du savoir.

Ainsi, parmi les centaines d’élèves/individus (de la classe de sixième à la classe terminale) auxquels l’auteur des livres ci-dessus a enseigné dans les services de pédiatrie pendant douze ans, il n’en pas rencontré un seul qui sache expliquer ce qu’est un mode de conjugaison, De même, la quasi-totalité lui définissait le complément d’objet direct par « ce qui répond à la question quoi ? ou qui ? » parce que c’est ainsi qu’on le leur avait enseigné, alors. Il paraitrait que c’est encore le cas, mais l’auteur n’en croit rien, parce qu’en ce temps-là, il n’était pas rare qu’on préfère les formules toutes faites à l’analyse. Il paraitrait que c’est encore le cas, pas seulement à l’école, mais un peu partout, même en politique, mais il n’en croit toujours rien. Du reste, le verbe croire… Pour ceux qui s’intéressent au sens et à l’utilisation de ce verbe (croire, à, en, que…), je signale, du même auteur, La notre fondamentale et les harmoniques, toujours chez Edilivre.   

L’objet, disais-je. Donc, forcément, le sujet.

(à suivre)

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