COMMUN (10)

Si le langage est l’expression de qui nous sommes, individus et sociétés, examiner le discours de son enseignement renseigne sur la manière dont est abordée à l’école la question existentielle propre à l’espèce humaine.

Les modalités de fonctionnement de l’institution scolaire, le discours global d’enseignement qu’elle diffuse, à savoir la manière d’aborder ou d’esquiver les problèmes liés au savoir et à sa transmission, sont plus ou moins directement et consciemment dictés par la société. Tel est le contexte dans lequel le professeur construit son propre discours en accord ou en rupture relatifs avec les choix de nature idéologique et politique variables qui définissent le cadre de l’institution et de l’enseignement. C’est la nécessaire diversité de ces discours qui constitue l’école de la République, et c’est sous cet angle que je poursuis l’analyse.

Le sens étymologique de sujet (« mis sous, soumis ») correspond à celui du sujet du roi, au sujet d’examen… mais quel rapport a-t-il avec le sens du sujet grammatical ? Dans l’exemple Pierre lit, mange, court etc. en quoi Pierre (analysé comme sujet actif du verbe) serait-il soumis à un élément d’information de la phrase ? Même question pour le sujet existentiel, philosophique (« Je pense donc je suis ») doté de la conscience des déterminismes, de responsabilité, de liberté.  

Dans son dictionnaire de référence, Littré (19ème siècle) fournit cette explication : « Le mot auquel le verbe se rapporte » : une explication qui, d’une part, ne dit rien de ce qu’est le sujet,  d’autre part, le définit comme l’exact contraire de la sujétion étymologique. La Grammaire du Français contemporain (Larousse – 20ème siècle)propose  « support grammatical du verbe » qui est tout sauf une explication de sens.

Ce type de difficulté sinon entretenue du moins non résolue, conduit à la formule scolaire que tous les élèves connaissent par cœur : « le sujet est ce qui répond à la question qui est-ce qui  » Si la réponse obtenue est toujours juste, la question n’est qu’un procédé de repérage qui n’explique pas – on ne sait pas ce qu’est le sujet – pas plus que celui du complément d’objet, « ce qui répond à la question quoi ? ou qui ? », avec la différence que lui ne garantit pas une réponse exacte, en particulier quand la question est posée mécaniquement, ce que favorise l’absence d’explication (ex : mon voisin est mécanicien).

La Grammaire de Larousse propose une explication « savante » que je vous laisse apprécier : « Si le groupe verbal est accompagné d’un complément sur lequel passe (c’est le sens du mot transition) l’action verbale, la construction est dite transitive (…) Elle est transitive à un objet (objet direct) quand le verbe engage l’objet directement, sans préposition et sans pose. »

Le jeu des questions conduit à la confusion entre la forme et le sens. Ainsi, les notions de direct, d’indirect, et de second à propos de l’objet. C’est également vrai pour les temps : pourquoi appeler « je suis venu » passé-composé (forme) et « j’étais venu » plus-que-parfait (sens) alors que le parfait n’existe pas en français, et qu’il s’agit, là aussi, d’une forme composée du passé ? Si on voulait obliger à apprendre sans comprendre, on ne s’y prendrait pas autrement.

Tout cela – et il est possible de détricoter ainsi l’ensemble de l’enseignement grammatical – pose la question de l’intérêt d’une démarche globale fondée sur ce qui s’apparente à des « trucs », des procédés artificiels masqués par du langage savant qui conduisent épisodiquement à dire que la langue française est compliquée, qu’on devrait « simplifier » et l’orthographe et la grammaire. Un exemple de fausse complication : la longue règle d’accord du participe passé conjugué avec l’auxiliaire avoir, apprise et récitée par cœur comme une loi arbitraire, s’explique pourtant très bien : j’ai vu de beaux tableaux/ de belles sculptures : au moment où je lis vu, j’en ignore l’objet donc il n’y a pas d’accord pertinent possible ; en revanche : les tableaux que j’ai vus sont beaux // les sculptures que j’ai vues sont belles :  au moment où je lis vu,  j’en connais l’objet = tableaux / sculptures > vus /vues.

Les élèves que nous avons été se souviennent de ce type discours grammatical formel qui apparaît, à juste titre, déconnecté du contenu réel du langage.

J’en viens à la manière dont est analysé ce qu’on appelle « compléments d’objet ».

1 – Pierre raconte ses vacances à Paul.

2 – Pierre parle de ses vacances à Paul.

Dans 1,  ses vacances est analysé comme complément d’objet direct (quoi ?)

Dans 2, de ses vacances est analysé comme complément d’objet indirect (de quoi ?)

Dans 1 et 2,  à Paul est analysé comme complément d’objet second (à qui ?)

Voilà le discours de l’école historique : l’élève retient donc que la différence entre l’objet direct et l’objet indirect est l’absence ou la présence d’une préposition.

Ce qui ne correspond pas au sens de ce qui est dit.

Dans 1, vacances renseigne sur le contenu de l’action (raconte).

En revanche, dans 2, vacances ne renseigne pas sur le contenu de l’action : parler de signifie en effet tenir un discours (voilà l’objet, contenu dans le verbe parler) à propos de quelque chose, ici, les vacances qui est donc une relation à l’objet.

Dans 1 et 2 Paul ne renseigne pas non plus sur le contenu de l’action mais sur le destinataire.

L’analyse scolaire dit donc que les deux verbes signifient la même chose et que la différence d’objet tient à la préposition de… alors qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’une préposition (=placé devant) mais d’un élément constitutif du verbe qui serait donc plutôt une postposition.

On peut multiplier les exemples d’approximation.

D’une manière générale, le discours académique grammatical tend à opacifier l’explication du langage : l’auteur de L’enseignement à l’hôpital a constaté que, dans le discours d’analyse, le mot « complément » résonne pour les élèves comme un signe vide de sens… un sens qu’il retrouve quand il devient ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être, à savoir complément d’information. Ce qui présuppose une définition du mot phrase, qui est tout sauf « ce qui commence par une majuscule et se termine par un point » ou « un ensemble de mot qui ont un sens » etc. mais un message, envoyé par le corps (le pouce de l’auto-stoppeur, les battements des mains des spectateurs etc.) ou la parole, par un simple mot (bonjour, merci etc.) et, en passant par la période proustienne, jusqu’à l’infini puisqu’il est toujours possible d’ajouter un complément d’information.

La manière dont l’enseignement de la grammaire traite sujet et objet signifie leur complexité dans le rapport individu/commun.

(à suivre)

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