« Avec l’aplomb qui le caractérise, M. Lavrov a assuré que son pays « n’avait pas envahi l’Ukraine » et que la maternité de Marioupol, bombardée jeudi matin par des chasseurs russes au prix de 3 morts, hébergeait en réalité « le bataillon Azov et d’autres radicaux », une façon de reconnaître le caractère délibéré de la frappe aérienne. Moscou n’a « jamais voulu la guerre et cherche à mettre fin au conflit actuel », a-t-il assuré, mais les contacts « doivent avoir une valeur ajoutée », à savoir la reddition de l’Ukraine, que la Russie continue d’exiger. » (Le Monde – 11.03.2022)
Le déni consiste à faire d’un fait/événement objectif une construction : la Russie vient libérer l’Ukraine du nazisme, donc il n’y a pas d’invasion, la maternité n’en est pas une, et ceux qui parlent de guerre et de cibles civiles racontent une fiction.
Le raisonnement est de type syllogistique (syllogisme = trois propositions dont la prémisse majeure est articulée par « or » avec la prémisse mineure articulée par « donc » avec la conclusion) source de vérité ou d’erreur : tous les hommes sont mortels, or je suis un homme, donc je suis mortel / Tout ce qui est rare est cher, or une voiture à un euro est rare, donc elle est chère.
Tout dépend de la valeur de la majeure, absolue dans le premier exemple, contingente dans le second (tout n’est pas réductible au commerce, un trèfle à quatre feuilles n’a pas de valeur marchande).
Ici, les syllogismes s’enchainent à partir du syllogisme fondateur qui joue le rôle de prémisse majeure pour tous les autres : La Russie qui est un pays pacifique ne veut pas la guerre, or ses troupes se trouvent en l’Ukraine, donc l’Ukraine est l’agresseur et la Russie ne fait que se défendre.
Le déni ne peut fonctionner que si l’auditeur a choisi d’accepter la réponse avant la question ; autrement dit, de décider que celui qui parle a raison a priori.
V. Poutine a raison a priori pour ceux qui ont besoin de ce qu’il incarne (le chef et tous ses attributs de virilité, l’anti-USA-Occident-OTAN…).
Le schéma fonctionne autant que dure le besoin de l’a priori dont le président russe n’est qu’un exemple de satisfaction.
Il joue, dans la contingence, le même rôle que les deux absolus Dieu et Moi-Seul.
Dieu et Moi-Seul constituent l’ultime réponse, le premier parce qu’il a pour fonction exclusive de résoudre directement le problème de la mort, le second de refuser à la fois le ça (le lieu des pulsions incontrôlées) et le surmoi (le lieu des interdits) pour ne garder que le moi (le lieu de la conscience).
Dieu, quels que soient ses avatars (V. Poutine en l’occurrence), et Moi-Seul ont en commun le rejet du complexe [la confrontation permanente du ça, du surmoi et du moi dans l’individu (Freud) et dans la société (Marx)] autrement dit la simplification dont le degré témoigne de l’état de celui (individu ou société) qui en a besoin.
V. Poutine pousse le déni jusqu’à la caricature qui serait risible si elle n’était meurtrière.
Ceux qui, en France, avaient besoin de lui, ont pris des distances plus ou moins sincères et tactiques. Reste à savoir quel sera le seuil à partir duquel la société russe (peuple et cercles du pouvoir politique et économique) refusera de l’accepter.
( à suivre : le Moi-Seul dans la guerre ukrainienne et en général)