La Définition VII introduit pour la première fois la notion de liberté : « On dit qu’une chose est libre quand elle existe par la seule nécessité de sa nature et quand c’est par soi seule qu’elle est déterminée à agir ; mais on dit nécessaire ou plutôt contrainte la chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir selon une loi particulière et déterminée. »
Nous retrouvons le « on dit » de la Définition II qui implique une vérité reconnue que la seule nécessité de sa nature et par soi seule détachent radicalement du rapport créateur/créature de la religion.
D’autant que la seconde phrase laisse entendre, avec précaution*, que le système religieux exclut la liberté, ce que ne signalent pas les traductions de Robert Misrahi (reproduite ici) et de Charle Appuhn.
Dans la première phrase, « chose » est la traduction du latin res : « Ea res libera dicitur quae = cette (ea) chose (res) est dite (dicitur) libre (libera) qui (quae)… ». Tout est au féminin, accordé avec res, lui-même féminin.
Dans la seconde phrase, on retrouve le féminin avec « nécessaire » (necessaria) et « contrainte » (coacta) mais pas avec « par une autre » qui traduit le latin ab (= par) alio « autre », un adjectif (alius) qui n’est pas au féminin (le féminin serait alia) mais au masculin ou au neutre. Il s’accorde donc avec un sous-entendu masculin (quelqu’un) ou neutre (quelque chose).
Si Spinoza avait voulu indiquer sans la moindre ambiguïté que la contrainte qui nie la liberté vient d’un « autre chose » identique à la chose (res) de la première phrase, il aurait utilisé le féminin alia, le genre utilisé dans les deux phrases.
Même si « chose » (féminin en latin) évoque un neutre et même si le latin dispose de pronoms (ils seraient sous la forme aliquo ou quodam), il n’en reste pas moins que cet alio, le seul mot qui ne soit pas féminin, sonne bizarrement parmi tous les féminins désignant du neutre. Pourquoi donc un sens neutre exprimé sous une forme qui peut ne pas être neutre ?
*Avec précaution, non seulement à cause de l’ambiguïté de genre de alio, mais aussi du sens de autem que les deux traducteurs traduisent (au début de la deuxième phrase) par un « mais » inexact, puisque l’opposition indiquée par cette conjonction est très faible (= d’autre part), sans commune mesure avec le fort at (= mais) de la Définition II ; il y aurait donc peut-être là une litote (= dire peu pour laisser entendre beaucoup) malicieuse, comme un clin d’œil discret. J’ajoute que ad agendum (= « à agir » – première phrase) signifie être actif, alors que ad operandum (traduit également par » à agir » – seconde phrase) évoque le travail produit à connotation d’obligation (le verbe latin operor d’où est formé operandum a également un sens religieux = accomplir une tâche demandée par les dieux).
Détails sans importance ?
Spinoza portait une bague sur laquelle était gravée le mot latin caute = avec précaution => sois prudent.
Commentaire : pour Spinoza, la liberté est à comprendre dans le rejet du libre-arbitre (la pierre ne tombe pas parce qu’elle l’a décidé) et la négation du rapport liberté/volonté. La liberté n’est pas donnée, elle n’est pas non plus affaire de volonté, elle se conquiert par ce qu’il définira comme la « connaissance du troisième genre »** atteignable à partir du moment où l’homme parvient à comprendre et relier sa force de vie (en latin conatus => l’effort, pour persévérer dans son être), dans ce que j’appellerai rapidement ici l’harmonie essentielle ; il ne s’agit pas de mysticisme (du type extatique) mais de ce qu’on pourrait appeler science intuitive qui conduit à ce que Spinoza appelle la Joie. (Je préciserai dans la conclusion après la Définition VIII).
**Celle du premier genre est celle des idées inadéquates à savoir « chaque fois qu’il [l’esprit] est déterminé de l’extérieur par le cours fortuit des événements à considérer tel ou tel objet » (Partie II – proposition 29 – Scolie), celle du second, positive, est acquise par la Raison, étape nécessaire vers celle du troisième.