Invités à la Grande Table des idées (France Culture – 12 h 50 – 03.06.202), les philosophes Abennour Bidar et Corinne Pelluchon co-auteurs de l’ouvrage collectif « Relions-nous ! La constitution des liens » qui invite à une série de conversations au Centre Pompidou dans le cadre du « Parlement des liens ».
Je le dis d’emblée : si je n’avais pas d’autres entrées pour le monde de la pensée philosophique que ce que j’ai entendu, je partirais en courant. Où, je ne sais pas, mais il est sûr que je partirais. Sans doute à l’autre bout de la terre, même s’il n’existe pas.
Maintenant que je l’ai dit, voilà, ça y est, je l’ai dit, je raccroche mes bras (je ne me souviens plus si j’ai dit qu’ils m’en étaient quasiment tombés ?) pour taper sereinement sur le clavier. Presque sereinement.
J’ai mis « intellectuels » entre guillemets parce que c’est ainsi que se qualifient les intervenants et qu’ils qualifient ceux qui ont participé à l’ouvrage cité. C’est, déjà, en soi, un problème : c’est quoi exactement, un intellectuel ? Ou, si l’on préfère une définition par défaut : si on n’est pas intellectuel, on est quoi ?
Je vous invite à lire cette présentation de la démarche, faite par Abennour Bidar (précision : un paradigme – mot grec – est un modèle, notamment de pensée) :
« On est cinquante-quatre intellectuels qui donnons rendez-vous au centre Pompidou pour parler de ce changement de paradigme ; changement de notre façon de penser, changement de notre façon d’agir, nous passons d’une vision du monde à une autre, et nous n’en avons pas suffisamment conscience, nous ne savons pas à quel point le monde est en train de changer, le monde tel que nous l’habitons, tel que nous le pensons, nous passons d’un paradigme qui était un paradigme de la séparation à un paradigme qui est celui de la liaison, ou de la reliaison ou de l’interdépendance, c’est-à-dire que dans tous les domaines, et c’est ce dont témoignent ces intellectuels, nous nous rendons compte chaque jour, chaque année ou chaque décennie, un peu plus à quel point tout est relié, à quel point les problèmes, les difficultés mais aussi les solutions doivent être systémiques, à quel point nous formons avec le vivant, entre les sociétés, de l’échelle biologique à l’échelle politique, un grand tout et nous sortons d’une longue période humaine pendant laquelle ce qui a prévalu c’est au contraire l’idée de séparation, l’homme d’un côté, la nature de l’autre, les élites d’un côté le peuple de l’autre, exétéra, exétera (sic) ».
Un énoncé de plus de deux minutes, pour… ? Je dirais, enfoncer des portes, ouvertes depuis longtemps par Montaigne, Spinoza, Diderot… Ah ! et aussi par Alexandre Dumas (un intellectuel ?) qui met dans la bouche de ses héros-philosophes ou philosophes-héros la devise-paradigme « Un pour tous, tous pour un ! » (Les trois mousquetaires).
J’ai écouté jusqu’au bout, guettant l’idée nouvelle qui pourrait constituer le nouvel outil susceptible de faire tomber les cloisons pour vivre enfin cette globalité. Rien n’est venu d’A. Bidar.
A la fin, Corinne Pelluchon, évoque à travers le prisme de l’écologie son « humanisme » : « L’humain n’est pas au centre de tout, c’est l’humain qui allume la valeur des choses, même si la valeur des choses n’est pas relative à son point de vue étriqué », elle ajoute la nécessité d’ « une transformation des individus », puis l’idée que « le tissu du vivant n’est pas forcément harmonieux, il est dynamique et – insiste-t-elle – pas toujours harmonieux , il y a tout un tas de réflexions et d’obstacles épistémologiques à dépasser pour avoir un rapport aux autres vivants, mais c’est vrai je crois que dans ce livre-là, j’ai lu des textes que j’ai beaucoup aimés, il y en a un sur la douceur en philosophie, il y a vraiment beaucoup d’imagination, eh bien, c’est une autre manière d’habiter la terre et de vivre avec les autres et peut-être pour, aussi, il y a un monde commun à transmettre… »
Si je voulais chipoter – s’il s’agit bien de chipoter –, je lui ferais remarquer qu’il y a, apparemment, une contradiction entre « l’humain n’est pas au centre de tout » et « le tissu du vivant n’est pas toujours harmonieux », dans le sens où l’harmonieux, comme elle l’entend, est un concept anthropocentrique (étriqué ?), et que cette remarque éloigne beaucoup de la globalité évoquée. Pour prendre un exemple extrême : relativement à cette globalité sans cloisons, du Tout, en quoi le tsunami qui est pour l’homme une catastrophe, ne serait-il pas pour la Terre un constituant harmonieux ? Hum…
Quant à vivre « avec » et « peut-être pour » les autres, est-ce que ce n’est pas un questionnement permanent de l’humanité ? Platon, déjà…. Qui, dites-vous ? Ah, Jésus…
Je ne mets pas en cause les bonnes intentions, évidentes, qui constituent le pavé du discours.
Ce que je ne vois pas, c’est, au-delà des constats, des lieux communs, ce qui peut susciter une autre manière « d’habiter la terre », pour reprendre cette formule spatiale, très à la mode.
Au fond, ce qui m’insupporte (l’avez-vous remarqué ?) c’est le discours de l’entre soi qu’annoncent ces déclarations et qu’aiment à tenir parfois ceux qui s’appellent « intellectuels ».