« Après une agression raciste à Cergy, chasse à l’homme sur les réseaux sociaux. Un livreur noir a été roué de coups dimanche. La vidéo de son agresseur a fait le tour des réseaux, de Snapchat à Twitter, où une traque a été lancée pour le retrouver. Un suspect a été interpellé mardi. » (A la Une du Monde – 02.06.2021)
Dans son édition précédente, le Monde n’avait pas signalé que l’agresseur est d’origine maghrébine (occultation ou manque d’information ?)
Cette contribution de Catherine R.
« Petite lecture. Une tribune parue en 2017 dans Marianne. « Le tabou de la traite négrière arabe«, de Karim Akouche.
« La traite négrière est triple : l’occidentale (la plus dénoncée), l’intra-africaine (la plus tue) et l’orientale (la plus taboue). On y dénombre plus de 40 millions d’esclaves. La plus longue, la plus constante aussi, est l’orientale. A-t-on le droit de le dire ? A-t-on la liberté de l’écrire sans se faire taxer de néocolonialiste ? »
« Entre le Moyen Âge et le XXe siècle, les Arabes et les Ottomans ont vendu plus de 17 millions. C’est un fait. Ils approvisionnaient en zengis aussi bien les foyers des familles influentes arabes et turques, les palais, les souks, les fermes, les champs et les harems que les terres sous contrôle musulman à l’époque, comme la Péninsule Ibérique, l’Andalousie, la Sicile, les Balkans.«
« En Mauritanie, l’esclavage officiellement aboli en 1981, est toujours pratiqué. 300.000 à 700.000 individus ont des maîtres. On n’en parle pas. »
Ma réponse
« Pourquoi, selon vous, y a-t-il une telle différence de traitement ? Présenter un fait comme s’il était en soi une explication du problème qu’il pose revient à laisser penser qu’il existe une réponse évidente. A laquelle pensez-vous ? »
Une réponse de G. Verne à C.R.
« Qu’il y ait eu des traites africaine et arabe ne rend pas la traite européenne plus légitime ni moins révoltante. La faute d’autrui n’excuse pas la vôtre – c’est un truc que, de mon temps, on apprenait au cours préparatoire, quand on montrait les autres du doigt en disant qu’ils le faisaient aussi. »
La réponse de MH à G. Verne
« L’inverse est vrai aussi. Qu’il y ait eu la traite européenne ne rend pas les traites africaines et arabes plus légitimes ni moins révoltantes. Ce que pointe Catherine R est le fait que ces deux traites ont longtemps été passées sous silence en France (la loi Taubira ne concerne que la traite occidentale dite atlantique). Ce que fait éclater au grand jour ce fait divers est que la mémoire des esclavagistes/trafiquants ne doit pas seulement être déconstruite ici mais ailleurs aussi. »
Ma réponse à MH
Que voulez-vous dire par « déconstruire la mémoire des esclavagistes » ? La démarche de C.R. équivaut à annuler le problème qui, à mon sens, n’est pas de l’ordre d’une morale comparative mais anthropologique : quel est l’invariant humain qui, dans des modes différents selon les périodes de l’histoire et la géographie, conduit l’être humain à nier à un autre son statut d’humain ou à établir une hiérarchie ? Dire « les autres aussi » revient à renoncer à poser la question de cet invariant qui nous constitue, hier comme aujourd’hui. Je ne vois pas d’autre issue pour sortir de ce jeu de ping-pong pathétique en tant qu’il ne peut que créer de nouveaux traumatismes et susciter de nouvelles violences. (cf. les contributions)
Ma contribution
L’agressé ayant la peau noire et l’agresseur étant d’origine maghrébine, le débat change. Le binaire (blanc ou noir, si j’ose dire) ne marche pas, ce qui arrange ceux que dérange la mise en évidence du déséquilibre historique de la pratique raciste et son corollaire d’esclavagisme et de colonialisme. Si le racisme est partout, il n’y a plus de racisme, donc somme idéologique nulle, croient les dérangés, confondant le fait divers avec le problème qu’il rappelle, toujours pas abordé.
Ils oublient qu’une contradiction (exactions massives<>silence/justifications) cherche toujours sa résolution et que les démesures de la remise en cause sont égales à celles du déni initial. La résoudre positivement passe par l’examen de ce qui produit des passions dont un minimum de distanciation permet de saisir la dimension irrationnelle.
Une réponse critique :
« C’est sûrement intéressant ce que vous dites, néanmoins c’est incompréhensible. J’espère que vous n’êtes pas professeur. »
J’ai relu ma contribution… Le fait que je sois amené à répéter un type d’analyse produit, il est vrai, par suite d’une sorte d’autocensure pour ne pas lasser, un discours que les implicites peuvent rendre abstrait.
Sans doute le cas ici.
J’ai répondu ainsi :
Si tout le monde est raciste/esclavagiste, où est le problème ? Et s’il disparaît, disparaît du même coup avec lui sa pratique, dont celle des Européens et les mises en cause actuelles. D’où, par exemple, l’idéologie qui vante les bienfaits du colonialisme et qui s’exonère du questionnement au motif que « les autres aussi ».
Seulement, restent les traumatismes générationnels qui se manifestent donc aujourd’hui (woke, intersectionnalités, « racisé »…) en réponse au déni historique et qui provoquent les réactions passionnelles des contributions que je comprends comme le refus d’examiner l’idée-même du racisme.
Un des prétextes : le refus d’une supposée repentance qui n’est demandée par personne. »