« Total » et la Birmanie

« Birmanie : comment Total finance les généraux à travers des comptes offshore Selon des documents consultés par « Le Monde », le groupe français a mis en place un système de partage des revenus avec la junte, en passant par les Bermudes.

Depuis le coup d’Etat en Birmanie, le 1er février, la pression monte sur le groupe Total. Et pour cause : le pétrolier français exploite depuis 1998 un gisement de gaz au large des côtes birmanes. Les militants prodémocratie demandent aux groupes étrangers, en particulier Total et l’américain Chevron, de suspendre leurs activités pour cesser d’apporter un soutien financier à la junte – ce dont se défend le PDG de Total, Patrick Pouyanné, qui affirme simplement s’acquitter de ses obligations auprès de l’Etat birman.

Des documents internes, auxquels Le Monde a eu accès, racontent une autre version de l’histoire. Ils mettent en lumière le montage financier autour du gazoduc sous-marin de 346 km qui relie le gisement de Yadana à la Thaïlande. Ce tuyau ne se contente pas de transporter du gaz : il est le cœur d’un système où des centaines de millions de dollars provenant des ventes du gaz sont détournées des caisses de l’Etat birman vers la Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), une entreprise publique à la gestion opaque, contrôlée par les militaires. » (La Une du Monde – 04.05.2021)

Nombre de commentateurs s’indignent. Comme celui-ci : « Depuis le temps que cette entreprise a du sang sur les mains. Je ne comprends même pas comment des gens peuvent encore bosser pour cette boîte et se regarder dans la glace. Et je parle des salariés français, pas des personnes exploitées dans les pays sous-développés où Total est implanté. »

Ma contribution :

Porter un jugement d’ordre moral sur le comportement d’une entreprise capitaliste implique qu’il y aurait un rapport entre capitalisme et morale. L’accumulation à tout prix de capitaux, entre autres objets, qui peut aller jusqu’à la pathologie, n’a rien à voir avec le bien ou le mal mais avec l’idée qu’on se fait de l’existence humaine – personne ne trouve scandaleuse l’exploitation de la gazelle par le lion. L’entreprise industrielle apparue fin du 18ème siècle est la forme de production la plus aboutie de l’équation être = avoir plus qui nous constitue tous (collections en tout genre, loto, qui veut gagner des millions, entre autres). La question est de savoir comment et dans quelle mesure elle peut être modifiée. Sauf si on estime qu’elle est de l’ordre d’une intangible fatalité et que, les choses étant ce qu’elles sont, l’homme étant ce qu’il est, le monde allant comme il va etc., il est nettement préférable que le lion soit français.

Réponse du pseudo Rabajoi (1)

« L’accumulation à tout prix de capitaux(…) n’a rien à voir avec le bien ou le mal mais avec l’idée qu’on se fait de l’existence humaine ». Pardon, mais… la morale n’aurait-elle pas tout de même un tout petit peu quelque chose à voir justement avec « l’idée qu’on se fait de l’existence humaine »? Et ce « monde allant comme il va » n’a- t-il pas fini par écorner « l’intangible fatalité » du sacro-saint secret bancaire suisse qui n’avait pourtant « rien à voir avec le bien ou le mal« ?

Ma réponse (1)

Pour ce qui concerne la définition de l' »être » je dirais qu’il s’agit d’éthique (de l’ordre de la philosophie) et non de morale. L’histoire nous donne maints exemples de guerres et de massacres justifiés par des valeurs morales. Ceux qui procèdent aux ajustements (la levée du secret bancaire que vous évoquez, par exemple) le font non selon ce qui est bien ou mal (ces valeurs préexistent et depuis longtemps aux décisions) mais parce qu’ils y sont obligés, éventuellement par une contestation qui, elle, peut se revendiquer d’une morale. Une morale inadéquate si on juge du résultat : le plus souvent, ces ajustements consistent à trouver le moyen le plus adéquat pour reconstituer le schéma devenu trop visible et inacceptable. Ce qui change n’est que marginal. Je ne juge pas ce fonctionnement, j’essaie de l’expliquer par ce qui me semble être une cause liée à la spécificité de notre condition.

Sa réponse (2)

J’emploie le terme de morale au sens que lui donne Comte Sponville, « ce que JE m’interdis » et non au sens d’un ensemble de règles qu’un groupe humain cherche plus ou moins ouvertement à imposer. Elle n’a donc pas d’intérêt (j’allais dire « de classe » ) à chercher à « reconstituer un schéma trop visible ». Mais le débat sur la différence entre éthique et morale est sans fin !

Ma réponse (2)

Le schéma (dans le cadre des ajustements) était celui du système financier. Quant à la différence entre morale et éthique, je me réfère à l’Ethique de Spinoza : un mode d’emploi de vivre  hors les références morales et religieuses, qui substitue le bon et le mauvais au bien et au mal. Ce qui conduit notamment à ceci : je ne choisis pas une chose parce qu’elle est bonne mais  c’est parce que je la choisis qu’elle est bonne. Ce qui pose la question du choix lié à ce qui me « convient » (augmentation de la puissance de vie). Le « je » m’interdis – négatif, donc – me fait penser à une morale inspirée de la religion chrétienne, peut-être janséniste. Je préfère renverser en « ce que je m’autorise » selon le critère de la « convenance ». De ce point de vue, il n’y pas de rapport entre morale et capitalisme, produit de l’équation évoquée dans la contribution. Ce qu’on fait de l’équation ressortit donc à une éthique susceptible de rendre vain le principe d’accumulation de l’objet. Entre autres.

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