Euthanasie, hypocrisie et mauvaise foi

La seconde partie de l’émission 28’ (Arte) du 17.03.2021 proposait un débat sur la demande de plus en plus forte d’une loi autorisant l’euthanasie et le suicide assisté. Parmi les trois invités, Anne de la Tour, médecin, président de l’SFASP (Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs).

Une des animatrices lui demanda si elle serait favorable à un référendum sur cette question. Voici sa réponse :

« Je suis toujours favorable au débat. Je trouve qu’il est toujours très intéressant d’échanger des idées autour d’un tel sujet qui fait peur à la plupart des français. Un referendum sur cette question n’est pas une bonne idée parce que ce que l’on choisit quand on est bien portant ce n’est pas forcément la même chose quand on devient malade. L’être humain est ambivalent et quand il a pris une décision il peut complètement changer et c’est ça la vraie liberté. (…) Liberté d’exprimer ses craintes, ses peurs. Une loi n’arrange rien quand il s’agit de cas particuliers

L’hypocrisie (grec upocritès : acteur, celui qui utilise un masque) a été représentée par Molière dans sa pièce Le Tartuffe ou l’Imposteur (1669). Elle consiste à dissimuler qui on est dans le but de tromper, en vue d’un bénéfice, matériel (enrichissement) et/ou intellectuel (pouvoir).  (cf. article « Littérature » du 01.06.2020)

En droit, la mauvaise foi est une « attitude volontaire et déloyale avec laquelle une personne agit envers une autre, afin de surprendre sa décision. » (Dictionnaire du droit privé > Wikipédia).

Pour Sartre, la mauvaise foi consiste à emplir son être par une fonction sociale (= masque) afin de justifier une prétendue absence de liberté : je suis ma fonction sociale (Sartre prend l’exemple du garçon de café tout entier investi dans son rôle de garçon de café – l’exemple peut être élargi à toute profession), je n’ai, hélas ! pas d’autre être possible, bref, vous voyez, je ne suis pas libre.

En d’autres termes, l’homme de mauvaise foi se réfugie dans sa fonction par peur d’affronter le « néant » de son être et éviter d’avoir à lui donner un sens. Au fond de lui-même, le garçon de café sait qu’il n’est pas garçon de café.

Je dirais que la réponse d’Anne de la Tour la situe et dans l’hypocrisie et dans la mauvaise foi sartrienne.

Hypocrisie : elle masque son refus d’une consultation sur l’euthanasie, autrement dit d’un débat sur cette question inhérent au référendum, derrière l’affichage liminaire de son adhésion au « débat en général », en utilisant un argument totalement inadéquat : le référendum ne porterait évidemment pas sur l’engagement à se faire euthanasier, encore moins sur l’obligation faite à quelqu’un de ne pas changer d’avis, mais à en reconnaître le droit pour qui veut en disposer.

Cette hypocrisie, pour quel bénéfice ?

La réponse se trouve dans l’analyse sartrienne.

Ce discours d’hypocrisie (il faut voir son sourire quand elle dit qu’elle est favorable au débat –  Molière s’en serait inspiré pour diriger Du Croisy, l’interprète du personnage de Tartuffe dans la première représentation de la pièce), qui tient en l’occurrence de la malhonnêteté intellectuelle, est dictée par un motif de même nature que celui du garçon de café : le refus du droit qui élargit le champ de la liberté de l’individu pour la gestion de sa mort, s’explique par la même peur du « néant », autrement dit, la peur d’affronter l’absence de réponse a priori, de l’être. Dans l’échange qui suit, comme le garçon de café, madame de la Tour met en avant sa profession : elle est médecin, et  comme elle sait, par exemple, le rapport entre l’insuline et le diabète, elle sait, bien sûr, le rapport entre le concept-individu (qui évacue la diversité des personnes réelles dont l’évocation prétexte n’est qu’un autre masque) et la mort.

Le représentant de  l’ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité), qui a clairement exposé sa position, n’a malheureusement pas estimé utile de lui demander quel était le principe supérieur au nom duquel elle refusait de reconnaître un tel droit qui élargit le champ de la liberté.

Est-ce que je me trompe si je dis que ce principe est d’ordre religieux et que madame la Tour ne peut reconnaître ce droit parce qu’il l’obligerait à remettre en cause la croyance que notre vie appartient à Dieu, à terme à reconsidérer la réponse aliénante (au sens du mot latin alienus : qui appartient à un autre) au « néant » de son être ?

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