Piston vient du latin pinsere qui signifie broyer à l’aide d’un pilon dans un mortier, le pistor étant celui qui pile le blé pour faire le pain, par extension, le boulanger. D’où pétrin et pétrir.
Pétrin, justement. Il peut se trouver dans un lieu où il est agréable d’entrer. Ah, l’odeur de la farine dans le fournil !… Oui. Bon. Utilisé de manière métaphorique, le mot désigne en revanche une situation d’où l’on cherche à sortir, par ses propres moyens… par tous les moyens… voire, pour certains, au moyen d’un coup de piston.
Pétrin, piston, on ne s’en sort pas. Etymologiquement parlant, bien sûr.
Socialement, c’est autre chose.
Appelons-la Henriette… ou Annette… ou plutôt… Lucette. Oui, Lucette. Pourquoi forcément un prénom en « ette » ? Eh bien, parce que c’est un suffixe plutôt sympathique. Un diminutif de type affectif, si vous voyez ce que je veux dire.
Bref. Lucette, donc, habite une petite ville quelque part dans le sud. Quelle ville ? Pour vous aider, elle est située entre Biarritz et Menton. Ça ne vous aide pas. Aucune importance : ce qu’elle a vécu n’est pas lié à ce lieu précisément mais à… comment dire… oui, à ce qui est susceptible de générer le « coup de piston » qui peut être donné n’importe où, même dans le nord. Les guillemets indiquent qu’il s’agit du piston métaphorique.
Lucette a passé les 75 ans, donc elle est éligible à la vaccination. Eligible… Ce qui ne veut pas dire nécessairement élue. D’accord. Mais l’élection, même pour une vaccination, ne devrait-elle pas ressembler à toute élection : être transparente ?
Lucette s’est inscrite via le site « Doctolib » dès l’ouverture des listes en janvier et elle a été élue pour les deux injections du vaccin Pfeizer. Allélulia ! s’est-elle écriée… Ou alors, Hourrah ! ou Youppie ! les versions divergent. Peu importe. Ce qui la rendait heureuse, c’était à la fois la perspective de sa vaccination personnelle et la clarté de son élection. Elle a un sens aigu du « commun », autrement dit du rapport entre individu et collectivité, et cette harmonie des deux était réjouissante même si la situation sanitaire, elle, ne l’était pas.
Quelques jours plus tard, alors qu’elle était encore habitée de cette heureuse adéquation somme toute normale, lui parvient un message lui annonçant que son élection a été annulée. Elle se dit qu’elle va être réélue pour d’autres dates, comme certains de ses amis l’ont été automatiquement après la même annulation, elle attend, se connecte sur le site devenu muet, attend encore… Rien.
Pendant un mois, elle essaie de savoir : téléphone, visite au centre de vaccination. Rien. Une succession de « je ne sais pas ».
Comme elle est du genre tenace – c’est une qualité inhérente à sa conception du rapport individu-commun – elle finit par se décider à demander un rendez-vous au maire de sa commune. Elle « finit », oui, parce qu’ils se connaissent et elle ne veut pas d’un quelconque coup de piston, c’est contraire à l’idée qu’elle a du rapport individu/commun déjà évoqué. Ce qu’elle veut, c’est comprendre, et lui, peut-être, saura lui expliquer.
Elle téléphone donc à la mairie, obtient la secrétaire du maire à laquelle elle précise bien qu’elle veut obtenir des renseignements sur les raisons de l’annulation de son élection. La secrétaire lui dit qu’elle transmettra le message.
Deux jours après, Lucette reçoit un appel du centre de vaccination : on lui propose deux dates, pour les deux injections, la première dans les huit jours.
Lucette, il faut l’avouer, a un gros défaut, elle ne croit ni au hasard ni aux coïncidences ni à la divine (ou pas divine) Providence. Elle a plutôt tendance à chercher à comprendre. Pour ça comme pour le reste. Comprendre, c’est chercher des rapports de causalité.
Cette fois, ni alléluia, ni hourrah, ni youppie (selon les versions) mais une amertume causée par le sentiment d’injustice, pour ceux qui ne connaissent pas leur maire, d’aversion pour ce type de fonctionnement contraire à son sens du commun.
Pourtant, objectivement, c’est seulement son droit qui a été rétabli, elle n’a pris la place de personne : on l’avait rayée de la liste sur laquelle le gouvernement lui avait demandé de s’inscrire et où elle s’était inscrite au premier jour, et son nom avait été supprimé, sans autre motif que, celui, implicite, du manque de vaccins. Un non-dit politique.
Reste l’amertume et ce qui se dissimule derrière, que Lucette connaît bien : la colère. Si le maintien dans la situation d’injustice où elle se trouvait ne rendait service à personne, s’il importe au plus haut point que soit respecté le droit qui lui a été reconnu, si le recouvrer ne lèse personne, qu’en est-il de l’égalité des droits, de la justice sociale ?
Est-ce que le coup de piston peut être considéré comme le « jeu » nécessaire au fonctionnement de tout organisme, mécanique ou social ? Ou bien est-il un espace qu’il convient de réduire pour améliorer encore le rapport individu/commun ?
Excellent !!!
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Merci.
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