Plus que sa figure, la statue d’un personnage historique* représente l’idéologie dominante d’une société à un moment donné de son histoire. Une référence d’identification présentée comme essentielle, non contingente.
Colbert fut le principal ministre de Louis XIV. C’est lui qui, tout en amassant une fortune personnelle considérable, commença à mettre en place le système qui allait devenir le capitalisme. Il fut aussi co-auteur du code noir qui régissait l’esclavage.
Nombre de rue, de places, d’établissements scolaires portent son nom. Certains demandent qu’il en soit effacé.
Sa statue, devant la chambre des députés, a été taguée : « négrophobie d’état ».
L’école a présenté (présente toujours ?) Colbert comme l’exemple type du grand commis de l’Etat recruté par le roi non à cause de ses titres de noblesse (il n’en a pas) mais de ses compétences et de son dévouement.
D’où vient que plus de trois cents ans après sa mort, son nom puisse susciter une telle controverse ?
La référence à l’esclavage me paraît être l’arbre qui cache la forêt.
S’il est vrai que le racisme et la xénophobie reviennent au premier plan, ce n’est pas vraiment une nouveauté depuis trois siècles.
Je dirais que c’est plutôt l’identification au système capitaliste qui ne fonctionne plus, système dont l’esclavage était un composant de la société du 17ème siècle qui le considérait comme allant de soi.
Vouloir « déboulonner » sa statue ou gommer son nom revient à changer son statut d’identification en révélateur de dysfonctionnement ou d’obsolescence, d’inadéquation.
De la droite à l’extrême-droite, tous condamnent cette mise en cause au motif que « revisiter l’histoire est absurde » (R.Ferrand – LREM), « juger l’histoire à partir des principes qui sont ceux d’aujourd’hui n’a juste aucun sens » (M.Le Pen – FN/RN), et le député LR Julien Aubert qualifie Colbert de « grand serviteur de l’Etat et promoteur de notre industrie ».
Ces critiques qui prétendent dénoncer une absurdité – elles sont, en soi, absurdes – défendent l’idéologie qui a prévalu aux décisions de donner à Colbert un tel statut.
Il ne s’agit évidemment pas de focaliser le débat sur le tag ou les propositions de débaptiser – ce ne sont que des symptômes –, mais sur le moment historique que nous sommes en train de vivre et qui suscite des mises en cause tous azimuts.
* la statue d’un personnage historique (mort), référence d’identification pour l’idéologie qui décide de l’ériger, est différente de celle d’un homme politique vivant, signe de dictature.