Contribution

Il s’agit de ma seconde contribution envoyée sur la plateforme « le jour d’après » mise en place par certains députés de gauche.  La première reprenait l’article « le discours bloqué »

Vous retrouverez ici l’essentiel de ma philosophie, sous une forme plus synthétisée. 

La voici.

                 

Le moteur du capitalisme (suite) ou seconde bouteille à la mer

Ceux qui ont été intéressés par ma première contribution dans la rubrique concertation (samedi 4, milieu de matinée) le seront peut-être par celle-ci qui la complète. Sa longueur est à la mesure de la complexité du problème. Et encore…

Allons-y.                                                            

                                                                 Etat des lieux

Il s’agit d’identifier ce qui génère le capitalisme  dont la définition (propriété privée des moyens de production et d’échanges – financiers notamment) est consensuelle.

Sauf à lui conférer une essence transcendante, il est une production humaine. Et puisque il n’existe pas dans la société animale, végétale et minérale, cette production est spécifiquement humaine.

Etant donné qu’il régit aujourd’hui la quasi-totalité des sociétés sur l’ensemble de la planète, il ne peut être que l’expression d’un commun essentiel propre à notre espèce.

Quel peut être ce commun essentiel spécifique ?

Est essentiel ce qui détermine notre vie dans le rapport que nous établissons avec notre mort en tant que sujet.

Notre spécificité n’est pas la conscience que nous en avons – chaque espèce a cette conscience sur le mode qui lui est propre – mais la conscience de cette conscience, autrement dit le discours obligé permanent de cette conscience.

C’est ce réel qui définit la spécificité humaine.

Sinon, quel autre ?

Ce discours obligé permanent doit gérer une peur consubstantielle de même nature également propre à notre espèce, une peur existentielle.

En période de crise, quand les paramètres s’effondrent, elle peut produire l’intolérance, le racisme, la xénophobie, le crime, la torture, le génocide, tous comportement et actes également spécifiquement humains qui ont plus ou moins consciemment pour objet l’élimination exorcisante de l’autre, celui dont la différence (physique, ethnique ou fantasmée) révèle ma contingence.

Ce discours obligé permanent de la conscience de ma mort est le discours premier de tout être humain.

Sa permanence n’implique pas qu’il soit obsessionnel. Seulement,  nous vivons avec lui.

                                                                    Processus

Si les signes de ce qu’est la mort (les cadavres d’êtres humains, d’animaux) sont quotidiens, c’est seulement la mort des autres qu’ils indiquent.

Moi, en tant que sujet, je ne veux pas mourir et je mets donc en place une stratégie, notamment de langage.

Pour me  dissocier de mon corps dont je sais sans le moindre doute qu’il sera un jour un cadavre, je dis « j’ai un corps ».

En disant « j’ai un corps », je dis en même temps – c’est ce qu’implique nécessairement l’utilisation du verbe avoir –  « je ne suis pas mon corps », « je suis autre que mon corps ». Ainsi, mon corps étant désormais extérieur à moi, s’il meurt, moi, je ne meurs pas.

Mais, dans le même temps, je sais,  non seulement par expérimentation du cadavre des autres mais par ce que me dit le discours biologique de mon propre corps, que mon corps est moi. Je sais donc que je disparaitrai en tant que sujet quand il mourra. Même si je me bouche les oreilles et les yeux, je le sais.

Néanmoins, je continue quand même à dire, « j’ai un corps ».

Pour rendre acceptable cette contradiction, je dois construire une stratégie de raccommodage.

                                                                      L’objet

Comme « j’ai un corps » fait de mon corps un objet, elle sera une stratégie d’accumulation d’objets, parce que l’objet ne meurt pas (c’est du moins ce qu’il permet de croire), soit par nature – diamant, or… – soit par nombre : voitures, maisons, argent, biens… boîtes d’allumettes, capsules de bouteilles, timbres, cartes postales… objets de relations sexuelles… bref, tout ce qui est de l’ordre de l’avoir.

Cette accumulation joue également un rôle d’exorcisme. Plus j’entasse les objets immortels, plus j’assure mon immortalité. Plus j’ai, moins je meurs.

La possession, l’accumulation sont des sujets d’un questionnement inhérent à l’être humain : quel avoir pour exister, pour vivre ? (cf. l’ermite).

Depuis le 19ème siècle, le capitalisme est la forme économique et sociale la plus aboutie de l’équation commune  qui régit cette accumulation : être = avoir / avoir = être.

Si l’accumulation des objets, des biens, des richesses est un composant de l’histoire humaine, le capitalisme lui donne la possibilité de dimensions exponentielles. Jusqu’à la pathologie.

Pour le rendre tolérable et le justifier, a été construit le discours moral et religieux dont la fonction est de convaincre ceux qui n’ont pas, ou peu, que la possession de biens et de richesses « ne fait pas le bonheur », que les pauvres ici-bas seront les riches dans l’au-delà,.

Ce discours est aujourd’hui inaudible. Comme est inaudible aujourd’hui le discours du remplacement du système capitaliste par le socialisme ou le communisme.

Le principe d’accumulation, mis en cause par les démesures du capitalisme qui s’en nourrit,  n’est donc plus accepté, d’autant qu’il se heurte désormais à la question de la survie de l’humanité sur la planète.

                                                                 Le noyau dur

L’obsolescence du discours moral et religieux et la nécessité nous imposent de changer radicalement notre rapport à la production et à la consommation, à l’objet et à sa possession.

Si les pauvres ici bas ne seront plus les riches dans l’au-delà, si les lendemains qui chantent sont des mythes, si la moralisation du capitalisme est un leurre, si les réformes politiques, économiques et sociales n’ont d’efficacité  que marginale, quel levier reste-t-il ?

Si nous avons épuisé les modes de gestion de l’équation première commune (être = avoir / avoir = être), il nous faut enclencher un processus qui touche à l’équation elle-même.

En d’autres termes, il s’agit d’examiner comment il est possible d’éradiquer ou à tout le moins d’inactiver la peur existentielle inhérente au discours premier qui conduit à dire comme une évidence « j’ai un corps » avec les conséquences que l’on sait.

Sauf à considérer qu’il s’agit d’un intangible – ce qui condamne aux seules mesures marginales d’accompagnement et aux mêmes discours répétés et circulaires de dénonciation et de déploration des injustices, des inégalités, des démesures… – il faut dissocier l’être de l’avoir, autrement dit sortir la mort du champ du croire et en faire un objet de savoir* : c’est-à-dire un objet d’enseignement scolaire analogue aux autres objets d’étude.

Il ne s’agit pas d’une baguette magique, mais d’un levier inutilisé dont personne ne peut savoir avant qu’il ait été activé l’importance des effets qu’il produira.

Encore une fois, quelle autre alternative avons-nous pour cesser de tourner en rond ?

                                             La mort comme objet d’enseignement

Il faut commencer cet enseignement au moment se manifeste pour l’enfant la nécessité commune à tous du discours premier, donc au moment où, à l’âge de trois ou quatre ans, il se pose et pose la question de la mort, de sa mort, où il bascule de l’âge épique (le parent est la réponse qui préexiste aux questions immédiates, comme la divinité à la question eschatologique) dans l’âge philosophique (il doit entreprendre d’inventer lui-même les réponses aux questions et donner un contenu au discours premier).

C’est à cet âge qu’il faut commencer à lui enseigner qu’il n’a pas un corps, mais que son corps est la dimension matérielle de son être en tant que sujet, un sujet qui cessera d’exister en tant que tel au moment où son corps cessera d’exister sous la forme qui autorise le sujet.

Rétorquer qu’un tel enseignement n’est pas recevable par l’enfant pour des motifs de capacité ou de sensibilité ne peut être que le discours de personnes qui refusent le levier au motif qu’ils ne l’ont jamais utilisé.

Cette objection ne peut être qu’un a priori analogue à celui qui interdisait et interdit encore de dire la vérité à ceux qui sont prétendument incapables de l’entendre. Les malades par exemple. Ou qui – il n’y a pas si longtemps –  estimait impossible de faire admettre que la terre n’est ni au centre de l’univers, ni plate ni immobile. Ou que les divinités sont des constructions humaines. Que certains veuillent continuer à croire que la terre est plate, que l’univers et l’homme sont une création divine ne conduit pas à annuler l’enseignement de la physique, de l’astronomie et de l’évolution.

Le petit enfant est tout à fait capable de comprendre, progressivement, que la vie de l’individu (humain, animal, végétal) contient nécessairement sa mort. Il le pressent quand il observe sans autres outils que ses sens, son environnement immédiat. Quand il enferme une mouche dans une boîte pour la voir mourir.

Plus tard, que l’immortalité (fantasme du croire) est, entres autres, infirmée par la conscience du temps, conscience inhérente à la vie du sujet. Qu’en revanche, l’éternité de la vie, sous des formes infinies, fait partie du discours philosophique qui est le constituant du discours premier.

Cet enseignement n’existe pas. Notre rapport à la mort depuis que la question s’est posée à nous  est conditionné par le discours de l’édulcoration, de l’évitement, du contournement, du n’importe quoi, du commun traité par le chacun pour soi. Ce rapport – rendu possible entre autres par la promesse du paradis ou des lendemains qui chantent – nous a été transmis par les premières personnes que nous avons interrogées, nos parents, ceux avec lesquels nous avons un rapport affectif privilégié, qui l’avaient reçu eux-mêmes de leurs parents qui…etc.

Il s’agit donc d’apporter la réponse commune du savoir à cet essentiel commun.

L’humanité est depuis toujours préoccupée par ce commun.

Après le fiasco des expériences communistes fondées sur une analyse qui évacue de l’histoire humaine le discours premier et le déclin de la croyance paradisiaque (la violence de l’extrémisme religieux du « désespoir » est sans doute l’expression paroxystique du chant du cygne) le moment est peut-être venu de faire de ce discours premier l’objet d’un savoir commun.

Remplacer  « j’ai un corps » par « je suis un corps » devrait permettre  de donner aux deux verbes un sens plus adéquat.

Encore une fois, qu’avons-nous à perdre ?

* Ceux qui assurent qu’on ne sait pas ce qu’est la mort confondent mort et mourir.

Le sujet ne sait pas plus ce qu’est mourir qu’il ne sait ce qu’est naître. Naître et mourir sont deux actes vécus dans l’inconscience et dont nul sujet ne peut témoigner.

Dire qu’on ne sait pas ce qu’est la mort revient à transposer par analogie la suite de  naître  (le commencement de la vie du sujet) sur l’après mourir : si la naissance produit le sujet, la mort doit le produire aussi, ce qui implique donc une vie du sujet après la mort…

Seulement, la vie individuelle et sociale qui suit naître étant objet de savoir par le sujet lui-même, l’analogie se double d’une symétrie inversée : pour le sujet, naître est précédé d’un non savoir suivi d’un savoir ; donc mourir qui est précédé d’un savoir sera suivi d’un non savoir. CQFD.

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