En visite (31 mars) dans une unité de production de masques médicaux près d’Angers, Emmanuel Macron a invoqué à maintes reprises le concept de souveraineté.
Intervenant immédiatement après sur France info, Jean-Pierre Hamon, président de la Fédération des Médecins de France, a lui aussi insisté sur l’importance de l’autonomie de la France. Et il ne parlait pas seulement de la production de matériel médical.
La tonalité des deux discours était celle du constat d’échec, de l’aberration.
L’un et l’autre rejoignent le discours global qui déplore et dénonce la dépendance, en particulier, mais pas seulement, pour la fabrication des remèdes, des équipements médicaux.
La souveraineté nationale…
De Gaulle, en son temps, puis, au fil de la construction européenne et de la mondialisation économique et financière, les partis d’extrême-droite en ont fait et en font leur cheval de bataille.
Le souverainisme n’est pas une thèse nouvelle produite par la crise actuelle, c’est un discours ancien, sinon archaïque, qui, au-delà ou en-deçà de la politique, touche en dernière analyse au rapport entre le particulier (individu ou collectivité) et le commun propre à l’humanité*.
Ici, il est une régression en ce sens qu’il tend à faire revenir au temps d’avant.
Avant quoi ?
Avant la construction européenne et la mondialisation, quand les rapports entre les pays, clos dans des frontières matérialisées par des barrières, étaient déterminés par des traités bilatéraux, parfois multilatéraux. Avec les effets délétères que l’on connaît.
L’union européenne et la mondialisation qui ont bouleversé ces rapports n’ont jamais été fondées sur le discours du commun* dont elles n’ont jamais emprunté que l’apparence, mais sur celui des intérêts particuliers des puissances économiques et bancaires multinationales en relation avec les Etats : l’évolution du capitalisme en tant que système régissant la quasi totalité des Etats, a exigé, en Europe, l’ouverture des frontières ; ailleurs, jusqu’à ces dernières années, l’apologie de la mondialisation, dont le contenu économique et financier est gommé ou idéalisé dans les discours officiels.
Le discours souverainiste prononcé aujourd’hui par E. Macron (il a évoqué l’Europe subrepticement, une seule fois, comme en catimini,) est donc une régression de nature idéologique et politicienne dictée par la contrainte épidémiologique qui révèle de manière obscène (conditions de travail, effectifs, matériels…) les carences de la politique de santé publique. La responsabilité montrée du doigt sur le ton du « on (= mes prédécesseurs surtout) s’est trompé, je vais rectifier le tir, le monde verra ce dont la France est capable ! », est donc celle de la mondialisation, de nature quasi transcendante, qui a conduit la France (et d’autres) à une dépendance dont on s’accommodait fort bien jusqu’à ce besoin subit de millions de masques.
Malgré cela…
Ce discours de type régressif peut-être considéré comme positif dans la mesure où il est objectivement l’élément d’une dialectique.
Il entre en effet nécessairement en contradiction avec le discours précédent sur les bienfaits de l’union européenne et de la mondialisation, tenu par les mêmes personnes qui les mettent aujourd’hui en cause, contraints par la nécessité.
Ce discours précédent a été compris et intégré par les peuples comme l’expression d’un fait historique, d’un réel.
Autrement dit, la régression actuelle dans le discours peut être comprise comme le mouvement du balancier qui part du champ d’une démesure (mondialisation financière et économique) pour aller dans celui d’une autre démesure (souverainiste), avant de trouver le point d’un équilibre nouveau, pour un processus de progrès.
Mais…
Ce qui reste inconnu – et là est le danger – c’est le temps pendant lequel le balancier restera dans le champ de cette démesure souverainiste qui peut dégénérer en nationalisme agressif. Ce champ, national et international, est en effet occupé par des forces politiques et idéologiques qui s’efforceront de ne pas le laisser repartir.
Aujourd’hui, personne n’est en mesure de dire quel est le spectre et l’importance des bouleversements qui résulteront de la crise.
Ce sont eux qui détermineront le temps pendant lequel le balancier restera dans le champ du discours souverainiste.
Le seul discours susceptible de précipiter son départ vers ce point d’équilibre nouveau, non seulement en empêchant la fermeture des frontières mais en ouvrant celles qui ne le sont pas encore, est le discours du commun*.
*cf. les autres articles traitant de ce concept.
À propos du dernier texte sur la régression souverainiste ? : merci pour cette approche qui m’interpelle et me conduit à réfléchir sur le sens du discours du commun.
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