Dévouement

                                                              

Ce jour, 2 avril, sur France Inter, un médecin de la région Ile-de-France racontait les conditions éprouvantes du travail des soignants de son hôpital. Il invoquait pour expliquer un dévouement qui ne compte ni les heures, ni la fatigue, et qui inclut le risque de la vie, le serment (Hippocrate), la vocation,  et ajoutait que les problèmes de toutes sortes – notamment familiaux (du fait du confinement dans l’hôpital) et professionnels – attendraient la fin de la crise. Etait clairement sous-entendu le caractère explosif de ces problèmes.

Dévouement jusqu’au sacrifice, commenta le journaliste après l’interview.

Les deux mots ont une origine religieuse : celle du vœu pour le premier (se dévouer, c’est offrir sa vie aux dieux pour sauver les autres), du sacré (ce qui est donné à une divinité) pour le second.

Le dévouement/sacrifice est donc un acte « triangulaire » : il y a soi, puis celui pour lequel on se dévoue, enfin un référent – quel que soit le nom qu’on lui donne – qui préexiste à l’acte de dévouement et le rend possible.

Pourquoi cette nécessité du référent ? Pourquoi la relation duelle avec l’autre en tant que simple sujet n’est-elle pas suffisante ? En l’occurrence, elle l’est d’autant moins que le soignant, pour être efficace, doit se distancier du patient, ne pas être lié à lui par des affects.

L’objet du dévouement, surtout médical, est donc moins une personne singulière qu’un membre de l’espèce humaine, un « comme moi ». Sauf cas particulier, il n’existe pas de dévouement-sacrifice vétérinaire : on abat les animaux porteurs de virus.

Celui qui, dans son domaine d’activité, se dévoue ou se sacrifie pour répondre à la crise sanitaire, ne le fait plus en référence à une divinité (la référence religieuse est désormais absente du discours général, dont celui de la médecine), mais pour un référent qui n’est ni défini, ni nommé.  Il est seulement évoqué derrière « vocation » ou « serment ».

Il n’est pas davantage nommé dans le discours des commentateurs et des spécialistes divers qui spéculent sur ce que pourrait être l’après-crise sanitaire.

« Rien ce sera comme avant » est un refrain – aux intentions généralement positives, sinon optimistes – souvent entendu, et qui ne dit précisément… rien.

Ce référent non défini et non nommé, est notre commun qu’il faut achever de dépouiller du sacré qui le dénature en prétendant le valoriser.

Sauf à reconnaître et à regarder en face ce commun susceptible de remettre en cause la réversible et tenace équation « être = avoir » qui régit et détermine notre mode de vie (production, consommation, rapport à soi, aux autres et au monde), il est à craindre que la mémoire individuelle et collective ne joue son rôle d’oubliettes. Qui se souvient de la grippe de Hong-Kong (1968-1970) qui a tué un million de personnes ?

L’oubli donc ou le déni, au risque, accru par les problèmes climatiques, d’accentuer encore les démesures, les inégalités, les conflits, de substituer les règlements de comptes politiciens et idéologiques à l’urgente analyse de la condition humaine commune, et de  pervertir demain en repli nationaliste le confinement-dévouement d’aujourd’hui.

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