Le diable, encore lui

                                                          

Diable, grec d’origine (je parle du mot), est formé à partir du verbe diaballein qui signifie « jeter à travers, répandre », par extension « répandre des bruits, calomnier »,  enfin,  et c’est le sens actuel qui nous intéresse, « désunir ».

Exemple diabolique récent de désunion : la cérémonie des Césars dont j’ai seulement lu les comptes-rendus – je n’aime pas les spectacles d’autocongratulation –   et à nouveau le cas Polanski  (cf. l’article).

Avant d’examiner si le diable est vraiment dans les détails, considérons les deux genres de désunion.

La désunion du premier genre concerne des uns et des autres.

Des uns – parmi lesquels des unes étaient les plus nombreuses que des uns – disaient que récompenser le film de Polanski revenait à exonérer l’homme des viols dont il est accusé. Pour donner plus de force à leur protestation, certaines de ces unes-là quittèrent la cérémonie après l’annonce du prix décerné (et attendu) à J’accuse. Etaient-elles venues pour partir ?

Je ne sais plus laquelle demandait, avant la cérémonie, en guise d’argument contre l’attribution d’un prix au film, si on devrait exonérer un boulanger violeur au motif qu’il fait de bonnes baguettes.

Hum…

Si ce boulanger fait des baguettes (notons que, si elles sont bonnes, les films de Polanski sont bons), n’est-ce pas parce qu’il a le droit d’en pétrir dans son fournil ? Soit qu’il ait été jugé, condamné et qu’il ait purgé sa peine, soit que, pour des raisons estimées suffisantes par la justice, il n’ait été ni l’un ni l’autre.

Des autres (uns et unes mélangés) rétorquent qu’on ne peut confondre l’œuvre avec l’homme ni, surtout,  se substituer à l’institution judiciaire.

Voilà pour le premier genre. J’y reviens un peu plus loin.

La désunion  du second genre concerne l’un – il enveloppe un et une. Donc l’un tout seul.

Exemples diaboliques de cette désunion de l’un tout seul : le capitaine Haddock et le chien Milou, en proie à des tiraillements (boire ou ne pas boire d’alcool/ préférer ou ne pas préférer l’os trouvé à la mission) qu’Hergé représente sous la forme d’anges et de diables s’affrontant par des discours. Notons que lorsque la rhétorique du diable l’emporte sur celle de l’ange, ce n’est que très provisoirement. Les Aventures de Tintin se terminent toujours bien. Hum… Serait-ce parce que leur auteur a oublié d’y mettre des personnages féminins autres que caricaturaux et que les héros sont célibataires ?

Bref.

Qu’elle soit du premier ou du second genre, la désunion suppose une union préalable.

– pour celle du premier genre : l’accord pour l’attribution de prix récompensant l’activité cinématographique au cours d’une cérémonie d’autocongratulation.

– pour celle du second genre : je suis d’accord avec moi-même pour dire que boire de l’alcool (surtout du rhum ou du whisky) est mal et qu’être altruiste est bien.

Alors, d’où vient le diable ?

Serait-ce, comme on le dit peut-être un peu vite, à cause des détails ?

Oui. Comment un détail pourrait-il compromettre une union qui est en principe constituée par un essentiel ?

Ne serait-ce donc pas plutôt parce que l’union préalable n’avait rien d’essentiel et qu’elle était une union de façade ?

Pour ce qui concerne l’union des uns et des autres.

On remarquera que l’union pour une cérémonie autocongratulante de Césars (ou d’Oscars) se pare de toilettes sophistiquées et se nourrit de propos émus de remerciements convenus. Et quand il est contestataire le discours en habits d’apparat sonne faux.

Mais aussi, comme le rappellent les fables de La Fontaine qui sont tout sauf des fables, la justice n’est pas toujours juste de la même façon pour tous. Ce que confirmera G. Orwell : « Tous les hommes sont égaux, mais il y en a qui sont plus égaux que d’autres. »

Pour ce qui concerne l’union de l’un tout seul, autrement dit de soi avec soi.

On remarquera qu’il existe de très bons rhums et whiskies et qu’un os inattendu à une saveur qui mérite considération. Autrement dit, il ne faut pas confondre le discours de la morale générale avec une éthique. Ni refuser le plaisir en prétextant la démesure.

Nettement plus grave.

Il arrive parfois qu’un processus historique fasse émerger chez l’un une désunion  pathologique enfouie, de type schizophrénique, dont il fait alors un objet de déni en accusant l’autre d’en être la cause.

Et si l’autre se trouve dans une situation analogue, s’il réagit de la même manière, alors, l’un et l’autre vont tenter de résoudre par un interminable conflit nécessairement stérile ce qu’ils croient être une désunion du premier genre.*

Je pense aux Israéliens (qui viennent de donner une forte majorité relative à B. Netanyahou, hostile à la constitution d’un Etat palestinien, favorable à l’extension des colonies, et dont le procès pour corruption, malversation et abus de confiance doit s’ouvrir dans quinze jours à Jérusalem)  et aux Palestiniens divisés entre Autorité Palestinienne et Hamas, les uns et les autres en guerre depuis plus de soixante-dix ans.

*Amos Oz, un écrivain israélien favorable à la reconnaissance d’un Etat palestinien, a écrit en 2004 un ouvrage intitulé « Aidez-nous à divorcer ! », comme si l’un et l’autre peuples avaient jamais été unis.

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