A*** est une élève de première, en section abibac (préparation simultanée du baccalauréat français et de l’Abitur, son équivalent allemand. Ses résultats (une moyenne générale proche du 17/20 – félicitations unanimes) témoignent de son investissement.
Avant les vacances de printemps (15/04 >02/05) l’enseignante professeur de français de sa classe a donné comme travail, et sans présentation de l’auteur et de l’œuvre,
1 – la lecture de Les fleurs du mal de Charles Baudelaire – 133 poèmes
2 – une dissertation sur un des quatre thèmes concernant la notion de modernité, (la laideur esthétique, la femme inquiétante…) à partir de 4 poèmes que chaque élève devait choisir.
Demander à des adolescents de lire, seuls, à la suite, les 133 poèmes de l’œuvre est à peu près aussi intelligent que les envoyer visiter la totalité du Louvre en une journée.
En face d’une décision d’une telle invraisemblance qu’elle frappe de vanité toute critique – comment argumenter contre un n’importe quoi venant de quelqu’un dont le travail est censé contribuer à s’en préserver – j’hésite, après avoir écarté le moment d’égarement, entre l’irresponsabilité et la prétention niaise.
L***, la sœur d’A*** est en seconde. Son bulletin scolaire (moyenne générale proche de 16/20 – mêmes félicitations) témoigne des mêmes capacités et du même investissement.
Une seconde de 36 élèves entassés dans une salle minuscule – toutes les tables sont collées les unes aux autres – dont les murs et le plafond sont peints en vert pomme.
Même si les professeurs ont leur part de responsabilité, les conditions matérielles ont contribué à rendre la plupart des cours sinon impossibles, du moins très difficiles.
E***, le frère d’A*** et L*** est en 5ème. Sa moyenne générale dépasse 17/20 et lui aussi est félicité par le conseil de classe. C’est un garçon très mûr, intéressé par le questionnement – il a lu des livres de philosophie adaptés à son âge – en particulier celui de l’objet en tant que signe et il envisage d’être designer.
Il explique, calmement, qu’il n’aime pas l’école.
Ses deux sœurs non plus.
L*** est leur cousin. Il est en première dans une académie différente. Ses résultats sont au même niveau et lui aussi a reçu les félicitations du conseil de classe. Comme A***, il passera les épreuves de français du baccalauréat en juin.
Le problème auquel il est confronté n’est pas celui de sa cousine, mais tout aussi invraisemblable : son professeur de français est absent depuis deux mois et n’a pas été/ne sera pas remplacé.
Il se trouve que ces quatre adolescents « bénéficient » d’un environnement affectif, culturel, matériel qui leur permet de ne pas être trop affectés par l’obsolescence du « discours d’enseignement » de plus en plus déconnecté du vivant (cf. les articles concernant l’enseignement de la grammaire – 28/03/2023).
Mais ceux qui n’ont pas le même « bénéfice » ?
Je n’insiste pas sur la recrudescence des dépressions, des comportements délétères, des décrochages scolaires…
Comme illustration de cette déconnexion, et en relation avec celle dont témoigne la pédagogie de l’auto-apprentissage des Fleurs du mal, l’épreuve orale de français minutée comme une recette de cuisine et qui, dans le droit fil de l’enseignement de la littérature déconnecté du vivant des écrivains et des élèves, s’adresse à tout sauf à l’intelligence et incite à trouver les trucs pour dire ce que les examinateurs ont envie d’entendre.
Et dans le même temps, dans le port du Havre, M. Le Pen, après avoir rappelé que Jeanne d’Arc « reste la sainte patronne de la France », tient un discours dont la teneur et les mots basculent dans une régression de plus en plus affirmée : « Pour « cette fête du travail et de la patrie », elle a adressé un « salut déférent à la France laborieuse et studieuse » et a enchaîné sur le déclin de cette grande et belle nation, avec l’impression « de ne plus connaître notre pays, qui était celui de l’élégance et du raffinement » et, bien sûr, « de n’être plus chez nous » (A la Une du Monde – 02/05/2023)
Ah, j’allais oublier : Emmanuel Macron n’a pas dit un mot sur Louise Michel alors qu’il était dans le collège qui porte son nom. (cf. article 19/04/2023)
* Le massacre de l’école publique : l’analyse grammaticale dira que « l’école publique » complète le sens de « le massacre » de deux manières possibles : soit le massacre dont est victime l’école (des élèves et, dans une certaine mesure, des professeurs) ou le massacre dont l’école (l’institution que définit le discours d’enseignement) est l’auteur.