*Rappel :
-GFM : Grammaire française « ministérielle » (sur Internet)
– GEQ : La grammaire en questions – titre d’un essai de l’auteur du blog.
Soi et le monde ou la question des rapports possibles entre les deux.
Quel qu’en soit l’objet, mon discours passe par le filtre de ma subjectivité, autrement dit du sujet que je suis. Pour un prendre un exemple simple, s’il pleut et si je dis « il pleut », je ne le dis pas exactement comme mon voisin – j’aime la pluie et lui la déteste ou le contraire, j’en ai besoin parce que je suis agriculteur et lui veut faire une randonnée etc. – même si cette différence de subjectivité n’a aucune incidence sur l’objectivité de l’événement.
Cette question des rapports est celle de ce qui est appelé « modalisation » et celle qui concerne l’utilisation des « modes » et des « temps » dans la conjugaison du verbe.
Le temps verbal, en-dehors des « valeurs » ponctualité, durée, répétition etc., indique la simultanéité, l’antériorité ou la postériorité par rapport à un moment donné comme référence : dans « maintenant, je viens (présent) » il y a coïncidence avec le moment où je parle, dans « hier, je suis venu (passé-composé)/je vins (passé-simple)», antériorité, « demain, je viendrai (futur simple) », postériorité ; dans « hier, je suis arrivé (passé-composé) après qu’il était parti (plus-que-parfait) », le passé composé indique une postériorité par rapport au plus-que-parfait (et lui indique une antériorité par rapport au passé-composé) pour un événement antérieur au moment où je parle, dans « demain, j’arriverai quand il sera parti » le futur indique une postériorité par rapport au futur antérieur (qui, comme son nom l’indique, indique une antériorité) pour un événement postérieur au moment où je parle. Les combinaisons sont infinies.
Mode et modalisation, (du nom latin modus = mesure, manière, façon, genre) concernent donc des rapports, ce qui peut expliquer pourquoi ces deux mots peuvent être source de difficultés, voire de confusions.
GFM (niveau II – p.136) « S’il est vrai que les temps verbaux servent généralement à exprimer la temporalité, ils sont aussi employés pour un autre usage : la modalisation. La modalisation consiste en l’expression de l’attitude du locuteur sur son propos. Par exemple, dans Elle partirait demain matin (au sens « il est possible qu’elle parte demain matin »), l’événement « partir demain matin » est modalisé par le conditionnel, au sens où cet emploi du conditionnel exprime le doute du locuteur sur l’événement décrit. Le conditionnel a donc ici une valeur modale. »
Question : en quoi est-il pertinent de dire qu’un temps verbal est employé pour la modalisation ? Est-ce le temps employé qui indique le rapport construit par le sujet-émetteur avec ce dont il parle ? N’est-ce pas plutôt la forme spécifique de ce temps dans ce qu’on appelle un mode ?
Le fait est que GFM explique que « elle partirait demain » est une modalisation indiquée par le conditionnel…. sans en préciser le temps (il existe un conditionnel passé). Et quel sens peut bien avoir cette expression si elle n’est pas précisée par une information complémentaire qui implique autre chose que le seul locuteur/émetteur lui-même ? Par exemple, « elle partirait si elle en avait les moyens, ou si j’en crois ce qu’on dit …» : en quoi est-ce l’expression d’un doute, comme le dit GFM, et à plus forte raison du locuteur qui, en l’occurrence, rapporte le discours de « elle » ou de « on » ?
GFM continue ainsi : « Enfin, cette notion d’emploi modal ne doit pas être confondue avec la notion de mode. Les temps du français sont regroupés en catégories nommées modes :aux modes non personnels (infinitif, participe) s’opposent les modes personnels, parmi lesquels sont distingués des modes personnels mais non temporels (subjonctif et impératif) et un mode personnel et temporel (indicatif) »
Ces distinctions catégorielles (j’y reviendrai) apportent plus de confusion qu’elles ne permettent d’identifier les rapports construits par le sujet/émetteur. Ainsi, le présent, le passé, l’imparfait et le plus-que-parfait sont les quatre temps du mode personnel subjonctif qui, assure GFM, n’est pas temporel. Si je dis « je souhaite que tu viennes », est-ce que viennes n’indique pas un futur ? Et si je dis « je souhaite que tu aies fini ton travail quand j’arriverai », est-ce que aies fini n’indique pas à la fois une postérité par rapport à « je souhaite » et une antériorité par rapport à « j’arriverai » ? Je comprends bien que le contenu du souhait n’est pas de l’ordre du réel, qu’il s’agit bien d’une modalisation qui est rendue par le mode subjonctif, mais est-ce pour autant que sont abolis les rapports d’antériorité et de postériorité entre les actions ?
A cette remarque justificative de GFM (p.135) : « Cet emploi du mot « temps » est purement conventionnel, sans rapport nécessaire avec le terme « temps » au sens de« temps des époques » j’objecterai que temps (du latin tempus qui a le sens grammatical) a un champ de significations étendu et qu’il suffit de préciser qu’il désigne les rapports précisés plus haut. Si on suit GFM (« les « temps » du subjonctif n’ont pas de valeur temporelle » – p.135) pourquoi conserver les formes du subjonctif autres que celle appelée présent qu’on appellera alors seulement « subjonctif » sans plus de précision ? « Je souhaite que tu finisses ton travail quand je serai venu » pour signifier que le travail doit être terminé ?
Avant d’en venir aux propositions de GEQ, la question du conditionnel.
Voici ce qu’en dit GFM (niveau II p. 144) :
« Le conditionnel a longtemps été considéré comme un mode, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. La symétrie qui existe dans la morphologie des verbes du premier groupe est un argument majeur en faveur de l’analyse du conditionnel comme temps et non pas comme mode : je chanterai/je chanterais//je chantai/je chantais. Morphologiquement, le conditionnel est, pour les verbes du premier groupe (qui sont les plus fréquents), au futur ce que l’imparfait est au passé simple. (…) »
Que vaut l’argument dès lors qu’il ne s’applique qu’aux verbes du 1er groupe ? Et que dire de la symétrie entre les présents de l’indicatif et du subjonctif (je chante/ que je chante) ? Et à partir du pluriel : nous chanterons/nous chanterions/nous chantions/nous chantâmes ?
« (… ) D’un point de vue sémantique, le passage d’un énoncé du type Je dis qu’elle viendra à Je disais qu’elle viendrait montre bien que le conditionnel ne constitue qu’une variante du futur dans un contexte au passé (au moins dans cet emploi-ci, que l’on considère comme l’emploi de base du conditionnel). »
Qui considère cela ? Le problème, occulté par GFM, est que le message « je dis… » et le message « je disais… » ne disent pas la même chose. Si le futur du passé emprunte ses formes au conditionnel en tant que mode, n’est-ce pas parce qu’il est teinté d’une nuance d’incertitude absente du futur ?
« Toutefois, dans l’usage scolaire, le conditionnel est parfois considéré comme un mode et enseigné comme tel. »
Cette conclusion du paragraphe (de ceux qui sont intitulés « pour aller plus loin ») consacré à cette question a quelque chose de surprenant et de rassurant : surprenant parce qu’elle semble dire qu’on enseigne quelque chose de faux en sachant que c’est faux, et rassurant parce qu’elle signifie quand même que l’analyse globale est discutable.
C’est ce que nous allons voir.
(à suivre)