La grammaire française telle qu’elle est enseignée aux professeurs par le ministère de l’Education nationale (2)

Le discours que j’opposerai à celui de ce livre a été construit à partir de mon travail dans les services de pédiatrie des hôpitaux lyonnais (cf. L’enseignement en milieu hospitalier ou La leucémie et le complément d’objet direct – L’Harmattan) où j’ai découvert la misère de l’apprentissage de la grammaire. Ce constat m’a incité à écrire l’essai La grammaire en questions publié chez Edilivre (voir dans le blog la liste de publications – 03/12/2019).

La confrontation se déroulera donc entre GFM (Grammaire Française Ministérielle) et GEQ (la Grammaire En Questions)

La phrase.

GFM

L’avant-propos précise (p.3/4)  : « La phrase est considérée comme la structure fondamentale, à partir de laquelle les autres structures peuvent être définies. (…) l’analyse se concentre sur les structures canoniques de l’écrit, c’est-à-dire sur les structures les plus simples ou les plus fréquentes dans les textes. »

– niveau I ( p.12): : La phrase type (P) est composée de deux éléments : un groupe sujet (GS) et un groupe verbal (GV). On adoptera donc la formule : P = GS + GV

Exemple :  P = [GS + GV] + GC

P = Le facteur distribue le courrier – GS = le facteur – GV = distribue le courrier.

A la p.13, un schéma explicatif avec un encadrement en pointillé, des structures déterminées par des lignes pleines, parenthèses, crochets, accolades graphiques, flèche, soulignements… 

– niveau II (p.82) : Le même type d’explication est repris avec le même exemple (plus l’ajout à huit heures) suivi d’un développement notamment sur la notion de « prédicat » (il est maintenant conseillé d’abandonner ce mot savant qui a eu son heure de gloire) et complété par cette précision :  « A la phrase type s’opposent des phrases atypiques. Trois sortes de phrases atypiques peuvent être relevées :

– la phrase averbale : Excellent, ce rôti !

– la phrase elliptique : Où est le dessert ? – Dans le réfrigérateur.

–  la phrase réduite à un mot (ou mot-phrase) : Oui ; Bonjour ; Merci. »

GEQ

Questions : Par qui et pourquoi la phrase est-elle « considérée comme » – ce qui implique qu’elle ne l’est pas  – « la structure fondamentale », et fondamentale de quoi exactement ? Quelles peuvent être,  en-dehors de la phrase, les autres structures et qui ne seraient pas fondamentales ? Que vaut ce choix d’une analyse « concentrée sur les structures canoniques de l’écrit » – canonique renvoyant à un intouchable de connotation religieuse gravé dans le marbre – sur les critères « plus simples ( ?) ou ( ?)  plus fréquentes ( ?) » et « dans les textes » comme si, outre le fait qu’ils soient écrits,  il existait un dénominateur commun signifiant entre le mode d’emploi d’un lave-vaisselle, le Bateau ivre (A. Rimbaud), le discours lu par E. Borne à l’Assemblée nationale pour annoncer l’utilisation de l’article 49.3, et A la Recherche du temps perdu (M. Proust).  Et que devient le langage parlé dans ce parti pris discriminant ?

Critique : elle vise la traduction de l’explication en équations en schémas, en tant qu’ils sont des redondances graphiques signes d’une carence majeure : l’absence de définition de ce qu’est la phrase. La représenter par des équations et des schémas non seulement tend à la réduire à des formes, mais encore ajoute une abstraction (recherche de la caution des mathématiques ?) artificielle qui éloigne un peu plus du réel vivant qu’est le langage écrit et parlé… une structure fondamentale s’il en est.

La totalité des élèves rencontrés en pédiatrie définissaient eux aussi la phrase par les formes qu’on leur avait enseignées, et qu’ils avaient plus ou moins bien enregistrées : « ce qui commence par une majuscule et se termine par un point » ou « un groupe de mots », « un groupe de mots avec du sens ». Si je leur demandais combien de mots pouvaient contenir le « groupe de mots » le plus long imaginable, la plupart disaient ne pas savoir, certains se risquaient à donner un nombre (en général autour de 13 ou 14), seuls quelques-uns disaient qu’il est sans limites.  Quant au plus court possible, trois, deux, 1 mots, jamais 0.

Ces réponses signifiaient qu’ils ne savaient pas ce qu’est une phrase, ce que n’explique toujours pas le discours de GFM qui  « oppose » phrase type et phrases atypiques présupposant ainsi une norme, une hiérarchie. Le professeur qui tiendra ce discours à ses élèves enseignera en même temps, de manière pour ainsi dire subliminale, qu’il existe le normal-bien (signifié par les équations et les schémas « savants » de la phrase-type) et l’anormal-pas-bien (ce qui ne rentre pas dans les cadres prédéterminés, canoniques, un «non savant » de la phrase atypique).

Les dénominations « averbale, elliptique et réduite à un mot (mot-phrase) » sont des signes savants de cet enseignement d’ignorance.

Bon, alors, c’est quoi une phrase, GEQ ? demandaient-ils.

Le mot vient du verbe grec phrasein = indiquer par signe aussi bien que par la parole.

Pour la phrase comme pour le reste, la démarche d’enseignement et de compréhension change radicalement si, comme je l’ai annoncé, on part du vivant.

L’explication : une phrase est un message et tout message est une phrase, les laissait d’abord interloqués, comme idiots, parce que « message » désigne de la matière vivante échangée entre vivants qu’ignore l’enseignement officiel de la grammaire. Et quand je leur assurais qu’on peut faire des phrase sans le moindre mot, leur regard exprimait une incrédulité un peu plus marquée, du genre « ça se peut pas ».  Je prenais l’exemple de l’auto-stoppeur ou des applaudissements ou du code de la route,  et ils comprenaient très bien que le pouce levé ou les mains qui claquent ou le gros point d’exclamation du panneau routier triangulaire sont les phrases « Pouvez-vous me prendre dans votre voiture ? » «  Nous sommes très satisfaits ! » « Attention, danger ! ».

Nous passons notre temps à entendre ou à faire des phrases, une « manie » qui n’est pas réservée aux seuls marins, comprendront les amateurs éclectiques du cinéma, typique ou atypique.

Une fois acquise la connaissance de ce qu’est la phrase, il suffit d’en « dérouler » les formes possibles,  pour illustrer l’extraordinaire capacité du langage humain à inventer des procédés pour toujours et encore ajouter un mot, et encore un mot, jusqu’au moment où il faut reprendre son souffle ou parce que la page est remplie.

Il n’existe donc pas, ontologiquement parlant, des phrases typiques ou atypiques, verbales ou averbales ou elliptiques, pas plus qu’il n’existerait des hommes typiques ou atypiques, mais une variété infinie d’expression de l’humanité, mais une variété infinie d’expression du langage.

L’enseignement de la phrase doit ouvrir pour l’expliquer cet éventail des modes d’expression de la messagerie humaine, selon les situations où on émet et/ou on reçoit, pour mieux être compris et mieux comprendre.

(à suivre)

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