P. Rosanvallon (suite)

J’aurais intitulé l’article la limite de P. Rosanvallon si je ne venais d’utiliser le mot limite dans le titre de l’article précédent. Comme il ne s’agit pas de musique et que je ne suis pas Bach – là, c’est un clin d’œil adressé aux lecteurs des articles sur la Passion selon Matthieu – j’évite donc la répétition.

P. Rosavallon, lui, n’hésite pas à répéter. Bon. Je suis de mauvaise foi, puisqu’il s’agit de l’émission Le grand face à face de France Inter – ce 11/02/2022 – que je n’écoute jamais. Je ne suis pas un fan d’Ali Badou, ce qui n’est pas un argument… quoique, en l’occurrence, peut-être bien… voir plus loin – alors que mon article P. Rosanvallon et « faire sens » concernait son intervention sur France Culture. Les auditeurs de l’une ne sont pas nécessairement les auditeurs de l’autre. Je suis « tombé » sur cette émission en appuyant sur le mauvais bouton de mon poste de radio.

Un geste d’inattention… qui n’est pas sans conséquences intéressantes. Enfin… intéressantes… Jugez-en par vous-mêmes.

Il était donc question des manifestations contre le projet du gouvernement visant les retraites et P. Rosanvallon répétait son argumentaire.

J’allais couper quand A. Badou donne la parole à sa collègue Natacha Polony – si je savais qui elle est pour avoir lu quelques articles à propos de la revue Marianne, je ne l’avais jamais entendue.  

Dans le cadre d’une question sur la filiation entre les manifestations de 1975 – contre le projet de réforme de protection sociale d’A. Juppé que soutenait alors P. Rosanvallon – elle évoque une interview de Cornélius Castoriadis donnée en 1997 à L’événement du jeudi.

Voici qu’elle en dit – prenez le temps de lire, ça en vaut la peine :

« Il dit que la donne a changé avec Maastricht et avec cette idée d’une politique commune de monnaie forte ; il expliquait que cette politique déflationniste faisait que si le capitalisme peut marcher avec une inflation zéro, il ne peut le faire qu’en produisant du chômage. Il disait : un peu partout le système s’attaque aux réformes partielles qu’il avait dû concéder au siècle précédent ; l’immensité, la complexité et l’interdépendance des questions qui en résultent, font que les demandes partielles apparaissent comme irréalistes, elles sont le plus souvent vouées à l’échec, le découragement s’en trouve augmenté et la privation renforcée. Est-ce que les travailleurs qui sont là, dans la rue, ne se heurtent pas à cette mécanique implacable qu’on voit en fait depuis trente ans ? »

Bien sûr, tout comme moi, mais si, vous vous attendez à ce que P. Rosenvallon apporte une réponse adéquate à cette analyse qui touche à la nature du système capitaliste. Un problème de fond, comme on dit.  

Voici sa réponse,  telle quelle :

« La mécanique implacable à laquelle vous faites référence, c’est l’appartenance à l’Union européenne (…) l’appartenance à l’économie de marché, mais l’Union européenne ne dicte aucunement une forme d’exercice de la démocratie et on voit bien qu’hélas, aujourd’hui,  il y a au sein de l’Europe des régimes qui deviennent des démocraties presque fortement autoritaires qui ne font plus confiance à l’état de droit, regardez la Pologne et surtout la Hongrie, alors que ce qu’il faut c’est réinventer une démocratie sociale, parce qu’en 1995 on était encore à l’âge du fonctionnement classique, les syndicats représentaient toute la société et les partis politiques eux-mêmes… »

A. Badou redonne la parole à sa collègue (je suppose qu’elle a signifié en levant le doigt qu’elle avait quelque chose à ajouter, je serais à sa place, c’est ce que je ferais)  qui enfonce le clou ( ce que je ferais aussi) :

«  Vous ne répondez pas à ma question quand vous dites l’Union européenne ne dicte pas une forme de démocratie, non, mais elle dicte un système économique (…) Si les travailleurs descendent dans la rue, ce n’est pas juste parce qu’ils ont besoin de reconnaissance [c’est le leitmotiv de Rosanvallon] c’est parce qu’il y a un système qui a contourné les protections sociales construites depuis la Libération. »

A. Badou dit alors à sa collègue dont l’intonation indique clairement qu’elle a terminé son intervention : « Laissez Pierre Rosanvallon vous répondre. » ( ?)

Et P. Rosanvallon de répondre  : « Vous n’avez raison que très partiellement, parce que ce à quoi l’Europe fait attention, c’est aux déficits publics et les déficits publics ils ont de multiples origines, c’est pas seulement la question des retraites (…) Ce qu’appelle cette grande manifestation, c’est à une nouvelle considération du travail et de l’activité après le travail, parce que la vie ne s’arrête pas à la retraite. »

 Je suppose que, comme moi, vous êtes impressionnés par la pertinence de la réponse et, aussi, émus – je vous demande une seconde, le temps de me moucher –  en apprenant que « la vie ne s’arrête pas à la retraite ».

Après avoir brièvement rappelé qui fut C. Castoriadis, A. Badou déclare : « J’aimerais qu’on revienne en 2023 et à ce qui se passe aujourd’hui en ce moment-même dans à ce mouvement. »

Ah, je me souviens maintenant pourquoi je n’apprécie pas beaucoup ce qui sort de la bouche de cet homme.

Quant aux concepts décisifs de P. Rosavallon (comme l’embrigadement dans les contraintes, les rails trop difficiles – cf. article précédent) et à ses idées-forces assénées avec la certitude officielle qui enfonce les portes ouvertes de l’idéalisme rassurant (le besoin de reconnaissance, la considération du travail) et de la révélation (la vie qui continue avec la retraite)…  j’hésite entre Monsieur Prudhomme d’Henry Monnier et Homais, le pharmacien de Flaubert (Madame Bovary).

Bon, oui, d’accord,  c’est une alternative non dénuée de malignité.

Alors, les deux.

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