Une interview enregistrée d’Alice, une aide-soignante de 52 ans, était diffusée dans le journal de 12 h 30 de France Culture (18/01/2023).
Présentation du journaliste ; « Elle travaille de nuit comme aide-soignante auprès de patients blessés et de malades atteints de cancer en phase terminale. Et chaque jour elle tourne, soulève, lave des corps. Un métier physiquement éprouvant et qu’elle n’imagine pas pouvoir poursuivre jusqu’à 64 ans. »
En voici le verbatim :
« J’essaie de me protéger d’avoir de bonnes postures mais il est clair que je finirai avec des gros problèmes de dos, ou d’épaules, de poignets, de coudes. »
– Question de la journaliste qui l’a enregistrée : « Quand à 52 ans on porte des corps de gens qui ne peuvent pas se tourner, à la fin d’une journée ou d’une nuit puisque vous êtes de nuit, on est comment ? »
« Moi, au bout la nuit, je suis épuisée, c’est clair, j’ai qu’une envie, c’est de retrouver mon lit. Je vais entamer ma douzième année de nuit, et avant j’ai travaillé en Ehpad. Evidemment à 30 ou 35 ans on peut faire des choses. Là, maintenant, c’est plus possible, il faut récupérer de sa nuit de boulot et derrière ma nuit, je fais rien, je suis claquée. »
– Question : « Vous vous projetez à 64 ans. Vous vous voyez faire ça jusqu’à 64 ans ? »
« Pas du tout. Je me suis dit je fais 8 ans de plus et j’arrête, au grand maximum, si je réussis à tenir physiquement. .. Peut-être 60 ans, mais 64 ans c’est inenvisageable. Ça sera une évidence que je serai en invalidité. Je vois des gens plus jeunes que moi qui ont déjà des gros problèmes… Oui, c’est très violent, on nous condamne à partir cassé de partout… »
– Question : « Et votre retraite, vous l’imaginez comment ? »
« J’aimerais être en bonne santé, avoir un peu de sous pour vivre et non survivre, j’aimerais avoir un peu de temps pour moi, vu ce que j’aurai donné aux autres, puis, si possible, ne pas être trop cassée. Je n’imagine pas des grandes choses, des grands voyages et tout ça, juste être en bonne santé et faire des petites choses dans mon jardin et pas être complètement démolie. »
Il y a là l’essentiel, dit ou non-dit.
Dit, de manière calme : la fatigue du corps, l’épuisement, le risque d’invalidité, l’inconcevable du seuil des 64 ans, le besoin du temps pour soi, d’un minimum de ressources.
Non-dit : la modestie du salaire, de la pension à venir, le manque de reconnaissance du « petit personnel » hospitalier.
Le dit définit l’être que la retraite libère du contingent, le non-dit assigne à l’avoir une place en rapport avec cette définition de l’être.
Telle est, ouverte ici par Alice, la problématique de la vie humaine – faut-il préciser : non réductible, dans son mode d’expression, à son exemple ? – dont le problème de la retraite est un composant.
Pour créer un rapport de force efficient, il faudrait que le discours d’Alice puisse être repris et théorisé par les porte-parole d’une philosophie politique opposée à celle d’E. Macron qui en est symbiose parfaite avec l’équation capitaliste.