Si l’on en déduit que l’objet visé par la cause première fait partie du champ de la croyance ou de l’inconnaissable, ce qui revient au même, reste à comprendre ce qui pousse l’esprit à produire cette idée et à chercher dans le champ du savoir une réponse introuvable.
Repasser le film pour examiner la genèse de l’événement permettrait peut-être de repérer l’instant précis où s’est enclenché le processus à partir d’une combinaison d’éléments chimiques, électriques, physiques, psychologiques.
Mais comment le repasser ? La mémoire volontaire est impuissante à le reproduire, la mémoire involontaire est une reconstruction (cf. Proust), et le résultat des thérapies fondées sur la réminiscence provoquée est aléatoire.
Pourtant, nous dit la pensée, si l’infime fraction de temps de la mise en mouvement du processus n’est repérable ni par le sujet au moment où elle est vécue, ni a posteriori par les outils scientifiques d’investigation, cet instant T en contient nécessairement la cause objective dont les signes/symptômes apparaîtront dans un temps plus ou moins lointain : ainsi, à telle nanoseconde de tel jour de telle année, dans le cadre d’une accumulation donnée de rayons ultraviolets, se prépare ou se déclenche sur telle partie du corps un processus électro-chimique qui aboutira vingt, trente ou quarante ans plus, tard à une affection de la peau. La vie obéit à une dynamique : on sait que le battement d’ailes du papillon brésilien métaphorique provoque la catastrophe texane bien réelle.
Est-ce cette certitude de l’existence de la cause objective qui est à l’origine du questionnement de la cause première, et est-ce l’incertitude voire l’impossibilité de la réponse qui peut inciter à le limiter à l’événement pour pouvoir ensuite le taxer de vanité ? Ainsi s’élabore une stratégie de déni : assigner à un questionnement une cible inadéquate pour s’en débarrasser.
Si l’histoire de la pensée montre que l’on ne s’en débarrasse pas, c’est sans doute que le problème est celui du questionnement en tant que tel : poser une question, quel qu’en soit l’objet, n’est-ce pas, plus ou moins consciemment, plus ou moins confusément, chercher une origine première ?
La mythologie grecque qui ne fait pas des dieux de l’Olympe des créateurs mais des créatures, nomme cette origine première « chaos », autrement dit l’informel.
Dans le champ philosophique, ceux que nous nommons Présocratiques (6ème / 4ème siècles avant notre ère) tentent de la repérer dans l’un et/ou l’autre des quatre éléments, l’eau, la terre, l’air et le feu.
D’une manière générale, nous manifestons en permanence le besoin de comprendre, au sens littéral de prendre ensemble les composants d’un phénomène pour les réunir dans le discours d’une élucidation qui se veut, relativement à l’objet étudié, exhaustive.
L’idée de cause première est donc apparemment un constituant de la pensée humaine, qu’elle soit objet d’un investissement scientifique rejeté par la transcendance, d’un investissement de la transcendance rejeté par la science, ou encore de scepticisme.
Alors que les religions monothéistes et les variantes plus ou moins sectaires qu’elles ont suscitées continuent à promouvoir la croyance en un dieu créateur, un des objectifs majeurs visés par la science, sinon l’objectif primordial, est d’atteindre le point zéro où tout a ou est censé avoir commencé – le télescope James Webb en est l’instrument le plus récent.
(à suivre)