Annie Ernaux explique dans La Place (prix Renaudot en 1984) qu’elle revendique une « écriture plate » parce qu’elle ne s’autorise pas le droit à l’art pour « rendre compte d’une vie soumise ». Et pour elle, l’art est « faire quelque chose de passionnant ou d’émouvant ». Une conception disons discutable de l’art, et, si la littérature est un art, de la littérature elle-même. Autrement dit, le risque d’un appauvrissement.
Le comité Nobel dit de son œuvre qu’elle est « sans concession et écrite dans un langage simple ».
La simplicité du langage conduit un contributeur du Monde à écrire, en réaction contre les critiques dépréciatives largement dominantes des contributeurs : « La critique est aisée… Au contraire de tous ces critiques aussi acerbes que leur production littéraire est égale à zéro,( « la littérature, c’est autre chose » est-il dit . C’est quoi, alors ?) je me suis toujours senti « chez moi » en lisant Annie Ernaux, qui a magnifiquement décrit notre civilisation, et son côté « personnel » m’a amené à, tout simplement, m’intéresser à cette femme , et à avoir envie de l’aimer. Quant aux critiques de son style… Maupassant aussi écrivait simplement et on le lit encore. »
L’écriture de Maupassant, fils littéraire de Flaubert, est évidemment tout sauf simple : un travail minutieux de la phrase auquel l’engageait Flaubert pour tendre vers ce qu’il appelait le « style » (voir les articles à partir du 11.12.2021) caractéristique de l’œuvre d’art.
L’appréciation (sans doute obligée) d’E. Macron « le roman de la mémoire collective et intime de notre pays… [elle] a magnifiquement décrit notre civilisation » » rejoint celle du lecteur.
La question posée par cette appréciation concerne la valeur littéraire et l’ampleur du « je » qui dirige son œuvre.
:« J’écrirai pour venger ma race. », écrit-elle dans son journal (cf. l’article du Monde du 07.10.2022). Elle s’en explique dans L’Ecriture comme un couteau : « Je voulais dire la classe sociale dont je suis issue. J’avais écrit “race” sans doute à cause du cri de Rimbaud : “Je suis de race inférieure de toute éternité”, aussi parce que le terme de race marquait plus fortement que “classe” mon appartenance au monde dominé. »
Est-ce une question de classe ou de rapport affectif avec ses parents ? La honte qu’elle dit avoir éprouvée en devenant professeur me semble apporter la réponse.
Rimbaud, qui sert de référence, n’est pas dans cette démarche de règlements de comptes (avec sa mère notamment), mais dans son dépassement par la recherche d’une révolution par le langage. Une entreprise et une expérience douloureuses qu’il interrompt très tôt pour entreprendre tout autre chose.
Je dirais que la problématique est celle du rapport entre les prix littéraires, auréolés d’une transcendance de conjoncture (elle peut s’en émanciper), et l’art, qui est peut-être la transcendance, recherchée sans fin par l’artiste et toujours inaboutie pour lui, des névroses communes dont il vit une expérimentation aiguë.