Bricolage des concepts

La dimension dramatique du changement climatique pourrait bien être le déclencheur majeur des dérives des comportements délétères individuels et collectifs. En particulier, l’absurdité sidérante de celui de V. Poutine dont on peut se demander s’il n’est pas suicidaire, comme peut le laisser aussi penser la résurgence de l’extrême-droite en Europe : si tout est perdu, reste la jouissance d’entraîner avec soi les autres, tous les autres, dans l’abîme. Quand les cadres des repères s’effondrent…  Lire et relire Le théâtre et son double d’Antonin Artaud.

Une certaine philosophie se démène comme elle peut pour tenter de trouver des réponses, sinon des solutions, avec des mots nouveaux dont elle veut faire croire qu’ils sont des concepts.

« Penser et agir dans un monde en feu », tel est le titre d’un article publié dans la Une du Monde (26 septembre 2022) par le journaliste Nicolas Truong. Après ce préambule « L’espace d’un été, le monde a basculé. Aucun coin de terre n’a échappé à sa saison en enfer. Chacun a pu ressentir le désastre au bord du balcon, percevoir l’apocalypse au bout du jardin, connaître la suffocation sur les routes en goudron » il fait l’inventaire des nouveaux concepts inspirés aux philosophes par l’état de la planète.

  la « solastalgie » (« forgée au début des années 2000 par le philosophe australien Glenn Albrecht – auteur des Emotions de la Terre (Les liens qui libèrent, 2020) – lui-même bouleversé par les saccages de l’exploitation minière de la Hunter Valley, une région au nord de Sydney dont il est originaire), désigne ce « sentiment de désolation causé par la dévastation de son habitat et de son territoire », mais aussi « le mal du pays que vous éprouvez alors que vous êtes toujours chez vous ».

– l’« écoanxiété », théorisée à la fin des années 1990 par la chercheuse en santé publique belgo-canadienne Véronique Lapaige, qui s’est largement popularisée. Si la solastalgie, cette douleur morale causée par la disparition de son propre milieu de vie, est une tristesse de rétrospection, l’écoanxiété, suscitée par la crainte d’un effondrement à venir, est une angoisse d’anticipation.

– pour Bruno Latour (Ah, les inventions de Bruno Latour !… Le Monde l’aime beaucoup), inventeur de géopathie ( !) (= être en empathie avec la Terre), « l’univers est un plurivers » (!!) (in Manifeste compositionniste) ( !!!).

Tout se passe comme si le comportement destructeur de l’homme était une découverte. Ce qui est nouveau, c’est l’ampleur du champ de la destruction, mais certainement pas les capacités destructrices.

La différence n’est pas si grande entre les anciennes peurs millénaristes de fin du monde et la conscience actuelle du risque de la fin de vie humaine sur la planète. Dans un cas comme dans l’autre, c’est l’homme qui est responsable, par ses péchés dans le premier cas, par son aveuglement dans le second. La différence se trouve dans la disparition de la punition divine : nous n’avons plus besoin de Dieu, nous sommes tout à fait capables de nous détruire nous-mêmes.

Quant au rapport à la Nature… qu’y-a-t-il de nouveau au moins depuis Spinoza (17ème siècle) ?

Qu’est-ce qui a empêché l’homme de réaliser qu’il est un constituant de la Nature au même titre que tout ce qui existe, sinon lui-même, autrement dit sa peur et son angoisse qui l’ont conduit à croire ?

Ceux qui s’évertuent à trouver des mots nouveaux pour se donner l’illusion qu’ils trouvent des idées nouvelles ne font que tourner en rond dans la même sphère d’interprétation redondante et stérile.

Le journaliste conclut « Ainsi assistons-nous à un tournant géologique de la pensée contemporaine. (…) L’écosophie (Félix Guattari) est confrontée à un double dilemme tactique et sémantique. Face à l’urgence de penser et d’agir dans un monde en feu, la tentation est grande de vouloir rompre avec le vocable de l’ancien monde et d’accompagner l’avènement du nouveau par des concepts inédits et des narrations inouïes.»

La tentation est grande, dit-il, visant ce qui ressemble fort au jeu avec des mots.

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