On trouvera sur Internet tous les renseignements biographiques concernant ce cinéaste japonais (1903-1963).
Je viens de revoir les 7 films (coffret Lumière) dont je donne la traduction des titres : Printemps tardif (1949), Eté précoce (1951), Voyage à Tokyo (1953), Fleurs d’équinoxe (1958), Bonjour (1959), (1960), Fin d’automne (1960), Le Goût du saké (1960).
Regarder ces films est source d’apaisement ne serait-ce parce qu’ils sont à mon sens un arrêt du temps : pas ou très peu de mouvement, sinon le train qu’on voit se déplacer comme si on était penché à une fenêtre de compartiment ou que les personnages voient passer de loin, ou encore les petits pas des femmes, en kimono ou pas, la lente démarche des hommes, le glissement de la porte qui donne sur le couloir ou la rue où l’on entrevoit la marche de quelques personnes.
Pour la vie à l’intérieur des maisons, la caméra est placée à faible hauteur, celle de l’assise japonaise sur un coussin, jambes repliées, alors qu’elle remonte pour celle de l’univers du travail de bureau (le seul qui soit montré) où sont utilisées des chaises.
Deux mondes fortement contrastés par leurs architectures géométriques respectives, essentiellement des lignes horizontales et verticales, celles froides et dures du béton des grands immeubles de bureaux juste entraperçus où les hommes sont en costume-cravate, les femmes en robes, et celles fragiles et transparentes des intérieurs où les hommes laissent tomber sur le sol, comme des objets souillés, leur vêtement d’extérieur récupéré par l’épouse (ou la fille si l’épouse est morte) pour revêtir le vêtement traditionnel après le bain.
Les seules courbes sont celles des dos dans l’assise au sol, de la main qui verse le thé, verse et boit le saké jusqu’à, parfois, la démesure de la détresse humaine, surtout dans les bars où se retrouvent les hommes.
Peu de discours, des acquiescements de gorge, des sourires de compréhension, beaucoup de silence, pas d’agressivité physique, les seuls cris étant ceux des enfants dont les parents ou grands-parents constatent calmement la rébellion qu’ils laissent se manifester.
Le drame est celui de deux solitudes : la solitude « fatale » liée à la mort du conjoint (le plus souvent, c’est le père qui est veuf), la solitude « moderne » résultant de la rupture du couple qu’ignore la génération précédente.
Ozu contient le drame par ses plans géométriques (intérieur/extérieur), rapides et sans transition qui suscitent de brefs points de regard interne, de pensée contemplative. Pas le moindre mélodrame.
De ce point de vue, la fin du Voyage à Tokyo est remarquable en ce sens qu’elle fait se rencontrer ces deux solitudes dans un espace immense, qui n’est pas seulement une métaphore de la vie, mais la vie elle-même.