En mai 1945, qui aurait imaginé que quatre-vingts ans plus tard, l’idéologie d’extrême-droite reviendrait en force en Europe ?
L’avocat du diable rétorquera que le RN en France, Fratelli d’Italia en Italie, le parti des Démocrates en Suède, Vox en Espagne etc. n’ont rien à voir avec le nazisme d’Hitler et les différents fascismes du siècle dernier, dont celui de Mussolini. Si certains Italiens disent que l’action politique de Mussolini n’a pas été que négative (n’a-t-il pas construit la ville de Littoria – aujourd’hui Latina – en asséchant des marais ?), c’est avec un implicite invoquant une honnêteté intellectuelle qui oblige à reconnaître aussi qu’Hitler a construit de belles autoroutes et fabriqué la première Volkswagen.
Bref, un simple problème de type rapport bénéfices/inconvénients. De ce point de vue, si un tremblement de terre détruit beaucoup, il garantit en même temps l’emploi des travailleurs des entreprises de reconstruction. La sagesse des nations ne dit-elle pas qu’ « A toute chose malheur est bon » ? Ou qu’ « On ne fait pas d’omelette sans casser les œufs » ? Purger, assainir, purifier… les mots ne manquent pas pour le besoin de justifier.
Et puis, Mike Godwin n’a-t-il pas déclaré que plus la discussion est longue, plus elle se rapproche du point où l’on évoquera le nazisme et Hitler ? Une sorte de t.o.c. à en croire certains qui oublient peut-être de se demander quel était le point de référence équivalent avant 1933. Sauf à prétendre que le nazisme est de l’ordre de la génération spontanée, autrement dit qu’il s’explique par lui-même et qu’il est donc en soi une exception historique.
J’ai à plusieurs reprises défendu l’analyse selon laquelle l’idéologie d’extrême-droite est celle d’une régression mortifère dont les étapes sont imprévisibles : si on sait sans le moindre doute de quelle ingéniosité sont capables les hommes pour se massacrer, nul (y compris les chefs qui jouent le rôle de l’apprenti sorcier) ne connait à l’avance le chemin précis que prendra l’établissement de la « préférence nationale », du « nous sommes chez nous » etc., ni les étapes par lesquelles il passera. L’Histoire nous en fournit maints exemples à des niveaux de dévastation différents.
De même, nul ne connaît à l’avance le seuil à partir duquel les petites machines des peurs/angoisses individuelles se constitueront en une machinerie générale d’angoisse nationale incontrôlable.
Il n’est pas atteint pour le moment, les verrous n’ont pas sauté, mais la pression de la convergence des extrêmes-droites européennes est de plus en plus forte.
Si l’immigration est un catalyseur – et d’autant plus que sa problématique n’a jamais été construite… et elle n’est pas la seule – elle n’est pas la cause de la crise existentielle planétaire qui affecte différemment les pays selon leur propres dysfonctionnements.
Je retarde au maximum la question du que faire ?
Il n’existe pas de miroir de conscience qu’on puisse opposer aux sourires, aux rires, aux cris de ceux qui applaudissent les slogans d’extrême-droite.
Il n’existe pas non plus de rationalité opposable.
Pour soi-même, la seule voix possible, à mon sens, est celle du refus de la moindre concession aux discours relativistes des « côtés positifs » du fascisme, de l’immigration comme causalité, de la prétendue distance essentielle des extrêmes-droites actuelles avec le nazisme et les fascismes, donc du bénéfice à attendre de leurs programmes.
Par qui cette voix est-elle audible ?
Je ne sais pas.