Les réactions attristées de « sujets » britanniques interviewés dans la rue, la foule qui se déplace pour venir saluer la dépouille d’Elizabeth et se déplacera pour ses obsèques, la place accordée par les médias internationaux à la mort de la reine posent la question du sens de ces signes : la personne disparue et celle qui la remplace ne disposent d’aucun pouvoir de décision, elles font partie d’une famille très riche (plusieurs centaines de millions de livres sterling qui se transmettent familialement sans imposition) dont la vie luxueuse est financée en grande partie par l’impôt public.
Dans ce cadre de cette absence de pouvoir, que signifient les carrosses dorés, les uniformes de parade, les apparitions au balcon de Buckingham, les offices à Westminster, tout un décorum qui n’a rien de très différent de celui de Louis XIV ?
La question peut se poser autrement : que manquerait-il aux Britanniques s’il n’y avait ni roi ni reine, ni palais royaux, ni carrosses, ni couronne ?
De quelle nature serait le vide ?
Louis XIV disposait des pleins pouvoirs et il était d’une nature autre que celle de ses sujets : il était de sang bleu, roi par la grâce de Dieu, mâle et sexué.
Au Royaume-Uni où l’on chante « God save the Queen – maintenant the King », Dieu fut et est toujours la référence essentielle qui, entre autres, justifie l’existence de la royauté.
Le roi Charles est encore censé être l’incarnation de cette transcendance. La différence majeure avec sa mère, est que sa personne ne coïncide plus vraiment, comme Elizabeth a pu l’être – hors-sol, en quelque sorte – avec le personnage qu’il est censé incarner (cf. sa relation avec Diana en a fait un être sexué ordinaire, comme elle le fut, avec la différence qu’elle sut acquérir peu à peu le statut de rebelle généreuse contre un ordre perçu comme hypocrite).
Le problème posé par cette distorsion est celui de la limite du « faire comme si » le roi n’était pas cet être, alors que sa mère sut être la femme pratiquement inconnue, jusqu’à la limite du tolérable lors de la mort de Diana. Les critiques visant son absence de réaction l’ont contrainte alors, pour un moment, à quitter son statut de reine pour exprimer les sentiments d’une femme dont la sincérité ne convainquit pas grand monde.
La popularité de Diana était et est encore sans doute le signe d’un changement de rapport avec le monde de la transcendance, en tout cas une figure sexuée contrastant avec la figure, elle asexuée, de sa belle-mère qui a ainsi permis d’absorber les débordements en tout genre des princes et princesses.
Mais à quel prix et pour quel bénéfice pour les Britanniques ?
Les conditions de vie sur la planète sont telles, aujourd’hui, qu’elles peuvent faire apparaître le besoin de cette royauté transcendante et costumée comme obsolète, en complet déphasage avec le réel (l’Australie et le Canada envisagent de quitter le Commonwealth), ou au contraire, lui donner une valeur de refuge tranquillisant, comme peuvent l’être les magazines consacrés aux rois et reines qui vivent dans des châteaux.
Une sorte d’opium avec la conscience qu’il en est un.
Jusqu’à quel seuil de déni ?