Vacances et vacance (suite)

Je rencontrai Jacques à l’université de Lyon où nous étions l’un et l’autre inscrits en lettres classiques. En ce temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître, il fallait, pour devenir professeur, réussir, après l’obtention du baccalauréat, les épreuves dites de propédeutique qui se préparaient en une année, puis, quatre certificats qui constituaient la licence et qui demandaient deux voire trois années supplémentaires. L’obtention de la licence permettait ensuite de se présenter au bout d’une autre année à un concours (capes et/ou agrégation) dont j’ai dit dans l’article précédent tout le bien que j’en pensais.

Quand je l’ai rencontré, Jacques avait 22 ans, était marié, attendait un enfant pour le printemps et exerçait la fonction de surveillant d’externat (pion) dans un lycée de la région stéphanoise. Il était titulaire d’un certificat de littérature française. Autrement dit, un quart de licence.

Quelques jours après la rentrée, le proviseur de son lycée lui proposa d’assurer, en plus de ses heures de surveillance, les 6 heures de cours de français d’une classe de troisième dite d’accueil dont personne ne voulait en heures supplémentaires. Accueil était le joli qualificatif choisi pour cette classe où était réunie la vingtaine d’élèves de fin de premier cycle qui ne pourraient pas continuer des études secondaires : ils seraient orientés vers un apprentissage ou un CAP ou ce qu’on appelle la vie active, une façon de laisser croire que la vie d’étudiant serait passive. Ou alors, une manière d’enjoliver par l’action ce qui se présentait plutôt comme un grand risque d’inaction. Allez savoir ce qui se passe dans la tête de ceux qui sont chargés d’inventer des étiquettes. Vous vous en doutez quand même un peu, j’imagine.

Jacques n’hésita pas une seconde, il accepta. Les heures de surveillance, celles de cours à la fac et, maintenant, les 6 heures de cours en 3ème le protégeaient assurément du risque d’uniformité, donc d’ennui, puisqu’il est avéré que l’ennui naît de l’uniformité.

La raison raisonnante lui aurait commandé de refuser la proposition pour consacrer le maximum de temps aux études et aux cours de la fac.  Jacques s’était appuyé sur une raison autre, disons, intuitive, et déterminée par le désir. Il avait envie d’enseigner et s’il ne mesurait pas encore l’importance déterminante du désir dans l’acte d’enseignement de ce qu’il aimait, la littérature, il la pressentait.

Il ne calcula rien. Il sentit que le rapport entre ce qui lui était proposé et ce qu’il était, là, maintenant, lui convenait.

Et il décida de commencer son cours par Andromaque de Racine. Parce qu’il aimait Racine, et tout particulièrement cette tragédie. Une double raison amplement suffisante.

Il me confia qu’il n’avait entendu chez ceux qui étaient maintenant ses collègues et auxquels il avait fait part de sa décision, que des avis négatifs. Racine à des 3èmes d’accueil ! Il était jeune, naïf, idéaliste, il allait se planter, comme on dit aujourd’hui, pour évoquer la perte du mouvement.

Attendez un peu pour la suite.

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