Rencontre cévenole en mode absurde… encore que (13 – avant-dernier épisode !)

              Chapitre 4 – Le courrier

Depuis que l’informatique a pris l’importance que l’on sait (sens français) et celle que l’on ne sait (sens belge) pas vraiment savoir, le courrier enveloppé et timbré a pratiquement disparu. Le préposé à la distribution ne glisse plus que très rarement dans les fentes des boîtes des enveloppes libellées à la main qu’on décachette avec émotion pour découvrir une feuille pliée en deux ou en quatre, ça dépend, écrite par un être cher, ou pas cher, ça dépend aussi.  

Néanmoins et nonobstant cette modification dans les relations épistolaires et les conditions de travail des employés de la poste, j’ouvre tous les jours, avec une émotion à peine contenue et une petite clef plate, la boîte aux lettres où je ne trouve donc plus jamais de lettres, seulement des professions de foi de candidats aux élections.

J’ouvre une parenthèse contestatrice : je trouve très discutable l’expression « faire profession de foi » ! En effet car enfin, tous ceux qui ont une profession n’ont pas forcément la foi et ceux qui ont la foi n’ont pas toujours une profession ! Bon. Sauf le pape, les cardinaux, les évêques, les curés et tous les autres qui répondent forcément « foi » à la question « profession ? » des documents administratifs. Si j’étais eux, je demanderais à la justice d’interdire la profession de foi politique et de spécifier dans les attendus du jugement que la crédulité ne peut avoir pour objets que Dieu et le discours de ses employés.

Voilà ! Je ferme.

Aussi, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir une enveloppe deux jours de suite !

Ah… j’entends la sonnerie du téléphone. Le temps de répondre, je passe à la troisième personne.

JiPé X ne put retenir les deux cris successivement poussés que provoqua la découverte, deux jours de suite, d’une enveloppe timbrée dans sa boîte aux lettres, comme JE vient de le préciser. Il eût volontiers embrassé le facteur sur les deux joues mais il n’était pas certain que le préposé eût apprécié cette démonstration d’une affection que rien ne justifiait sinon les raisons que JE a décrites juste au-dessus et qui s’explique surtout par une sensibilité dont certains se demandent si elle n’est pas parfois excessive, voire, peut-être même, nerveuse. C’est dire.

La première de ces deux lettres transcrivait le surprenant dialogue entre MA et FRA (où il est question de tranchée et d’explosifs) qui est rapporté juste au-dessus de l’au-dessus précisé ci-dessus.

La seconde lettre était la réponse de LJJ.

JiPé X fut d’autant plus ému de la découvrir dans sa boîte aux lettres qu’il s’imaginait que Georges Van AA lui enverrait en pièce jointe dans un courrier électronique. Mais non, il y avait bien, sur le recto, ses prénom et nom, JiPé X, soigneusement écrits à l’encre violette avec des pleins et des déliés – Georges Van AA avait dû conserver de son école primaire un porte-plume, une boîte de plumes sergent-major et un encrier –, et au verso, non moins soigneusement écrits, les prénom et nom, et l’adresse précise de l’expéditeur : « Georges Van AA, au Sanglier bleu, tout en bas là-haut dans la montagne ».

Tremblant d’une émotion mal contenue, JiPé X s’installa à son bureau, prit un coupe-papier en forme de cimeterre avec une pensée pour le coupe-coupe incurvé de Georges Van AA, et le glissa sous le rabat de l’enveloppe qu’il ouvrit donc d’un mouvement sec et maîtrisé du poignet. Il retira une feuille pliée en quatre et… ô surprise ! en tombèrent trois miettes de croissant au beurre, preuve irréfutable s’il en est que la missive avait bien été écrite par LJJ. et que Georges Van AA avait jointes par pur esprit de rigueur scientifique.

En inclinant son fauteuil, il en prit connaissance sans tergiverser plus avant.

«  A GE et JE,  de la part de LJJ

D’abord, je dois dire que l’idée d’utiliser un pigeon m’a beaucoup faire rire. Dans un premier temps. Dans un second, elle a fécondé dans mon imagination que vous savez fertile, une autre idée pour un prochain film. Celle d’un pigeon dont les ailes seront en titane Ti-22 et auront une envergure de trente-deux mètres ; le corps de l’animal sera en carbone C-14 imitation tronc de palmier – il fera date, Hi ! Hi ! Hi ! – il mesurera quatre-vingt-trois mètres et pourra recevoir mille six cents passagers ; dans une séquence majeure, ils survoleront les volcans auvergnats en écoutant de la vielle à roue. Vous voyez qu’après le succès phénoménal de Nairélav (que certains folliculaires coincés se sont plu à appeler « valait rien », je vous demande un peu !), que je me consacre désormais au film intimiste qui, au fond, est ma vocation à la fois première et rentrée.

Mais j’en viens à l’essentiel : votre prétendue intervention apparemment décisive pour la réalisation du Complexe Belge du Cinéma et de votre « bonus » qui viendrait avant le film que je suis censé avoir tourné et dont le scénario qui n’est pas encore écrit va être publié par un éditeur que vous avez persuadé que j’allais le tourner…

Hum…

Je dois vous dire que je n’ai aucun souvenir de cette prétendue intervention, mais comme la mémoire est chose fragile, je vous donne le bénéfice du doute même si je doute qu’il vous soit d’un grand bénéfice Hi ! Hi ! Hi !

Tout cela me paraît relever du principe de la mise en abyme, et je pense aussitôt à la Vache-qui-Rit, ce fromage triangulaire dans une boîte ronde, dont le bovidé rieur représenté sur le couvercle porte aux oreilles deux boîtes de fromage où est représenté un bovidé rieur qui porte aux oreilles deux boîtes de fromage où est représenté un bovidé rieur etc.

Quelque appétence qu’on puisse avoir pour ce fromage, il reste que la vache représentée arbore un sourire qui, pour être sympathique, n’en est pas moins un sourire niais.

Me prendriez-vous pour une vache à lait niaise ?

J’imagine cependant qu’il y a derrière tout cela un message masqué…

Bien à vous.

Luc-Jules Jumeau. »

JiPé X laissa revenir le dossier de son fauteuil et relut la missive dont la première lecture n’était pas sans le plonger dans une grande perplexité.

Il se disait que LJJ. ne s’était pas fendu d’une telle missive pour dire seulement ce qu’il disait. Il y avait forcément un message caché par derrière.

JE (c’est moi) revient. Le coup de téléphone était donné par une agence de publicité. Comme c’est de plus en plus fréquent, c’est une affaire qui marche. J’ai du mal à m’en persuader, tellement ça paraît benêt et ridicule. Il faudra que j’essaie de m’en faire persuader par un autre.  

Pris d’un désir subit comme le sont souvent les désirs, – il n’a rien à voir avec le coup publicitaire –  je (c’est encore moi, JE, qui parle) m’approche du téléphone, lève le combiné et compose le numéro de GE qui prend aussitôt la communication sur son téléphone satellitaire.

– GE, c’est moi JE !

– JE, c’est moi GE !

– Et réciproquement !

– Et lycée de Versailles !

Nous pouffons de conserve quelques secondes.

– Trêve de plaisanterie homophonique, dis-je en recouvrant tout le sérieux qui ne me quitte jamais sauf parfois. J’ai bien reçu ta lettre par la poste et… et…

– Qu’as-tu, JE ? « Je sens, vois-tu, comme une fêlure dans ta voix. » Tu as noté l’alexandrin ?

– Oui, et en 4/8, bravo ! La fêlure, vois-tu, c’est que je n’ai plus l’habitude de recevoir de courrier enveloppé et timbré… Bref, l’émotion… Et ton écriture est si belle ! C’est plus qu’une fêlure, quasiment une brisure… Ah ! …  Mais je domine, je domine !

– Eh oui ! nous, les hommes, dominer, ça, nous savons faire ! « Savons » franco-belge, je précise.

– Si je me laissais aller à quelque humour saugrenu pour me faire mousser, je dirais que nous voilà propres ! Mais je ne me laisse pas aller et je continue à dominer. Figure-toi, GE, qu’hier, j’ai reçu une autre lettre enveloppée et timbrée ; c’était un dialogue entre MA et FRA.

– Je l’ai reçue aussi, ce matin. Ah, j’allais t’appeler quand toi tu m’appelas…  Qu’en dis-tu ?

– On dirait du Racine.

– Ah…  non, je parlais de la lettre de MA et FRA.

– Eh bien, répondrai-je, je me demande si…

– Tu sais que t’es pas mal non plus ! Il y en a douze là aussi, et le « je, je » a quelque chose d’aérien… Tu voulais dire quoi à propos de la lettre ?

– Avant, je voudrais te parler de celle de LJJ. Tu as de quoi écrire ?

– J’ai toujours mon cahier d’écolier à petits carreaux et mon petit crayon à papier coincé sur mon oreille… Je te demande une seconde… Le temps de le prendre, de le tailler d’un petit coup de coupe-coupe incurvé… de mouiller la mine avec ma langue… Je suis prêt.

– Voilà : j’ai bien réfléchi à cette histoire de Vache-Qui-Rit. Vous connaissez, à Bruxelles ?

– J’en ai mangé une fois quand j’étais petit. Et toi ?

– Moi aussi, mais plus d’une fois.

– Nous autres Belges, quand on dit une fois, on sait dire plus d’une fois… Au fait, dis-moi, tu arrivais à ouvrir les trièdres rectangles en tirant sur le petit bout rouge qui dépasse ?

– Eh non ! La plupart du temps il restait un bout de fromage dans un coin. J’allais le chercher du bout de la langue… C’est curieux… J’ai presque envie de dire que c’était le meilleur… Comme quoi, le bout de la langue… Bref, la Vache-Qui-Rit étant fabriquée à Lons-le-Saunier, il me semble qu’il faudrait voir du côté du Jura.

– Ah, merde !

– Mais, c’est une région qui est intéressante, sais-tu !

– Ce n’est pas le Jura qui est un problème.

– Tu as cassé la mine ? Ou alors… Un micocoulier ?

– Rien de tout ça ; c’est MA.

– Comment ça, MA ?

– Attends… Elle est sur le toit de la case n°9… Elle me fait des grands signes… Ce n’est pas tout à fait à côté… Ne quitte pas, je m’approche…

Je perçois nettement le craquement des branches et des feuilles sous les bottes aux puissantes semelles de GE qui martèlent sourdement le sol.

– Voilà… J’y suis presque… MA me montre son balai… Je m’approche encore…

Je perçois tout aussi nettement les paroles que GE adresse à MA d’une voix nécessairement forte puisque MA est sur le toit, donc à une certaine hauteur. «  Qu’est-ce que tu dis, MA ?… Quoi ?… Tu es sérieuse ? »

– Que se passe-t-il ? demandé-je soudain pris d’une sourde inquiétude.

– MA vient d’enjamber le manche de son balai et elle dit qu’elle va s’envoler !

– S’envoler… Comme une sorcière ?

– Ben oui, ça m’en a tout l’air.

– Mais MA n’est pas une sorcière !

– Pas à ma connaissance. Et ça fait quand même un bail qu’on est ensemble !

– Alors ça ne va pas marcher… je veux dire : ça ne va pas voler !

– MA ! crie GE, JE dit que ça ne va pas voler puisque tu n’es pas une sorcière ! Mais non pas moi, JE ! Dis, ma petite MA, dis-moi que tu n’es pas une sorcière !

– Je sais le faire quand même ! répond avec un petit rire MA que j’entends maintenant très bien et j’en déduis aussitôt que GE est juste au-dessous du toit.

– « Sais » dans le sens belge ? demandé-je encore à GE.

– Sens belge ou français elle va se crasher dans les tomates !

– Au fait, elles ont donné cette année ?

– Oui, surtout les noires de Crimée et les cœurs de bœuf… Tu imagines le tableau ?

– Oui… Elles ne seront pas récupérables… Un gros pépin… Elle en est où ?

– Elle s’avance… Elle tient fermement son manche à balai… Je dois dire qu’elle a fière allure, ma MA, avec son fichu noué sous le menton qui flotte au vent des Cévennes… Elle est près du bord, maintenant… Je la sens toute frémissante… FRA ne serait pas là, par hasard ?

– Et non, elle est allée casser quelques briques à son cours de Takatapé.

– Toi, tu n’as pas une idée pour aider, JE ?

Je me creuse un instant.

– Demande-lui s’il y a un pilote dans sa famille.

– Ça pourrait aider, tu crois ?

– On dit dans les livres que les pilotes tirent ou poussent le manche à balai…

– Dis, MA ! JE demande… mais non, pas moi, Je ! Il demande s’il y a un pilote dans ta famille.

– Non. Seulement un marin d’eau douce, et sur la péniche des polars de Simenon.

– T’as entendu, JE ?

– Oui. (Je me creuse à nouveau… Mais j’ai beau me creuser, je ne vois pas comment un marin de la péniche des polars de Simenon pourrait aider MA qui veut s’envoler du toit de la case n°9…) Au fait quelle hauteur, GE ?

– Attends… Je cherche dans mon cahier à petits carreaux…

 Je perçois nettement le frottement humide du doigt sur la langue, le bruissement des feuilles à petits carreaux pivotant sur la spirale métallique du cahier d’écolier.

– Où j’ai bien pu fourrer les cotes ?… Je les ai refaites il n’y a pas si longtemps en utilisant le mètre de couturière de MA.

– Comme pour creuser ta tranchée.

– Oui, j’ai égaré mon mètre à ruban.

– Et… où en es-tu de ta tranchée ?

– Je l’ai rebouchée. J’ai vu ce que je voulais voir… . Ça confirme ce que j’ai lu… L’enfer !… Je cherche… Ah, j’ai trouvé le répertoire des cases… Alors, case n°1… n°2…  Et toi, tes explosifs et ton terrorisme ?

– Bah, je vais peut-être en faire tout un roman.

– Figure-toi que moi aussi… Peut-être même plusieurs … Case n°3… n°4…

– Que fait MA ?

– Elle est presque au bord du toit… Elle va faire son point fixe… Voilà… case n°9 : un mètre vingt-six du côté du talus, cinq mètres-douze de l’autre côté.

– Elle est de quel côté ?

– Pas du côté du talus !

– Quelle est la direction du vent ?

– Est-nord-ouest/ouest-nord-est… Un vent tournant… Pour le moment, elle l’a en face quoiqu’un peu sur le côté et par derrière…

– Explique-lui qu’elle a tout intérêt à décoller du côté du talus… Comme ça, elle l’aura dans le dos…

– Dites-donc, dit MA d’une voix forte, est-ce que vous me prenez pour une gourde ? Au fait, où est FRA ?

– JE m’a dit qu’elle est à son cours de Takatapé. Quand revient-elle ? me demande GE.

– D’ici à trente minutes, réponds-je.

– MA ! JE dit qu’elle revient dans cinq minutes à peine ! crie GE

– Mais, GE, j’ai dit trente, murmuré-je dans le combiné.

– Ici, nous n’avons pas de montre. Alors cinq ou trente minutes, c’est du pareil au même, murmure en retour GE.

– Qu’est-ce que fait MA, maintenant ?

– Elle s’est assise sur le bord du toit, toujours aussi frémissante, avec un petit sourire mutin, celui qu’elle arbore quand elle mijote quelque chose, et pas seulement dans la cuisine.

– Je vais regarder par la fenêtre si je vois arriver FRA. Tâche d’occuper MA pendant ce temps. Je te rappelle.

Sitôt dit, sitôt fait, je vais ouvrir la fenêtre de la rue et me penche pour voir si FRA n’arriverait pas déjà, au cas où elle aurait cassé ses briques plus rapidement que prévu.

Ce n’est pas elle que je vois, mais des gens attroupés qui regardent en l’air en faisant des commentaires. Quand ils me voient, ils pointent leurs index en direction du toit et je suis pris d’un affreux pressentiment. Est-ce que FRA, comme MA, se prendrait pour une sorcière ? Il faut, me dis-je avec courage et détermination, que j’aille affronter la réalité en face.

Sitôt dit, sitôt fait, et me voici dehors, levant mes yeux vers le faîte. FRA est là-haut qui donne des coups de paume sur des briques qu’elle a montées je ne sais comment et qu’elle réduit en morceaux. Quand le coup de paume est particulièrement réussi, les badauds applaudissent. La dernière brique cassée, la voici qui prend le balai qu’elle avait appuyé contre la cheminée… qui balaie les morceaux des briques qu’elle met dans un sac poubelle noir à fermeture coulissante jaune… qui nettoie tout bien propre… et qui, son ménage terminé, ça y est ! se met à califourchon sur le manche après avoir noué un fichu noir sur sa tête qui flotte lui aussi au vent des Cévennes. Toute frémissante, elle aussi, elle a fière allure et un petit sourire mutin qu’elle arbore elle aussi quand elle mijote et pas seulement dans la cuisine, elle aussi, ou elle non plus.  

– Elle va s’envoler ! hurle la foule hystérisée.

J’appelle aussitôt GE.

 (à suivre… le dernier épisode, comme je l’ai annoncé dans le titre !)

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