« Entre Eric Zemmour et une partie de l’élite économique et intellectuelle, une étrange bienveillance. Ménagé par la droite et des figures venues de la gauche intellectuelle, convié par certains cercles économiques, le polémiste d’extrême droite a pu mesurer l’indulgence d’une partie de l’establishment. » (A la Une du Monde)
Extraits :
« Il y a quelques jours encore, jeudi 18 novembre, alors que les Britanniques de la Royal Institution of Great Britain à Londres annulaient sa venue, Eric Zemmour déjeune devant 240 chefs d’entreprise, à deux jets de pierre de l’Elysée. Souvent présenté comme un « historien », un « intellectuel », il est reçu dans le saint des saints de l’establishment français, le Cercle de l’Union interalliée, ce club parisien qui, il y a deux ans, lui avait justement refusé son intronisation. (…) Le polémiste aligne aujourd’hui ses longueurs au Molitor, fréquente la piscine du Crillon et celle du Ritz, place Vendôme. Et noue, en invité, sa cravate sur le seuil du Jockey Club ou du Travellers pour rencontrer businessmen et banquiers d’affaires. »
La suite de l’article énumère les « raisons » affichées par certaines personnalités qualifiées d’ « intellectuels » moins pour approuver explicitement le discours du polémiste, que pour lui donner une justification au prétexte qu’il est un symptôme. Bref, il dirait tout haut ce que beaucoup de gens pensent tout bas et il « mettrait le doigt là où ça fait mal ». Cette « explication » est donnée avec la jouissance que crée la proximité d’un interdit auquel on ne touche pas, ou alors délicatement du bout d’un doigt ganté.
C’est la même explication qui en son temps a accompagné l’émergence du Front National.
C’est là que ce situe le point de la dérive complaisante, ou, pour reprendre les termes de la journaliste de l’ « étrange bienveillance » qui est tout sauf étrange.
E. Zemmour ne propose pas une pensée : il ne « pense » pas le problème des mouvements des populations et de l’islamisme, mais il les présente à grand renfort de rhétorique comme des agents avérés destructeurs de la civilisation occidentale.
Ce dont il est le symptôme n’est pas une pensée qui serait refoulée à cause d’interdits moraux ou du « politiquement correct », mais l’expression hystérisée du rejet de la pensée.
Les problèmes posés par ce qu’on appelle le terrorisme, par la migration, touchent à la question des responsabilités (= apporter une réponse adéquate) nationales et internationale. Question régulièrement dénaturée et pervertie par les accusations de repentance, de faute etc. qui ont pour but de l’évacuer, autrement dit de faire comme si les effets que sont ces problèmes étaient des causes, comme s’ils étaient inhérents à une religion ou à une civilisation ou à une origine ethnique.
Il est très tentant de lâcher la pensée parce qu’elle renvoie toujours au complexe (=entrelacement) des situations et à l’interaction.
Parmi les exemples les plus connus de ce rejet, la formule de Michel Rocard « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » (1989) : en disant explicitement que la réponse est un inacceptable, elle dit implicitement que la question l’est aussi. Le concept « misère du monde » nous met à part comme si nous n’étions pas dans le monde, comme si notre histoire particulière n’avait pas de lien avec l’histoire mondiale, à l’exception notable des représentants des Lumières idéalisés et présentés comme un bloc homogène de pur altruisme.
Ceux qui applaudissent publiquement ou en coulisse E. Zemmour sont des expressions du soulagement, éprouvé quand on se débarrasse d’un poids, ou d’autre chose.
Le corollaire en est le prix à payer.