Festival (2): 12 Angry Men (Douze hommes en colère)

(Rappel : Festival (1) le 27 septembre)

                                         – première partie –

                                                    ***

Le film a été réalisé par Sidney Lumet en 1957.

Les douze hommes sont les douze jurés qui doivent décider de la culpabilité (guilty) ou de la non-culpabilité (not guilty) d’un jeune homme accusé de parricide. Le juge les a informés que la culpabilité entraînera une condamnation à mort. La délibération aura lieu dans une salle où ils seront enfermés tant qu’ils ne seront pas parvenus à une décision qui doit être unanime.

Entre autres interprètes :

– Henry Fonda, architecte, juré n°8

– Lee J. Cobb,  patron d’une société de livraison, juré n°3

– Ed Begley, gérant de garages, juré n°10

– E.G. Marshall, courtier, juré n°4 

– Jack Warden, VRP, juré n°7 

– Joseph Sweeney, retraité, juré n°9 

                                                    ***

A 16 h 00, Géraldine Vidal termine sa sixième et dernière heure de cours.

La suite, vingt minutes de bus, cinq de marche, une douche, et un thermos de thé vert pour accompagner la correction des douze dernières copies qui attendent sur la table de travail avec le stylo rouge. Au rythme de quatre par heure, elle aura fini aux alentours de 20 h 30. Puis, une quiche lorraine prise au passage chez le traiteur du coin de la rue, un verre de Cahors, et 12 Angry men, un de ses films cultes, tourné par Sidney Lumet à partir de la pièce de Reginald Rose qui en est le scénariste ; l’un et l’autre figurent au programme du baccalauréat et elle se réjouit à l’idée du travail d’explication qu’elle va entreprendre avec sa terminale littéraire.

Au moment de quitter le lycée, elle trouve dans son casier de la salle des professeurs un mot de Marcel Mestrier, son collègue délégué depuis la rentrée à la formation continue des adultes. Il lui demande de passer dans son bureau le plus vite possible. Elle a une petite idée de ce qui motive cette demande.

Trois ans auparavant, au bout d’une soirée de fin d’année scolaire très arrosée, il lui a proposé une relation qu’elle a acceptée, et ils ont passé la nuit ensemble dans un état qu’elle préfère ne pas se rappeler. Elle n’a pas souhaité poursuivre, il n’a pas insisté, et ils sont restés en bons termes. S’il veut la voir, ce n’est pas pour parler d’amour, mais de travail.

Ils se saluent en heurtant leur poing fermé, un geste qu’elle situe entre le combat de boxe et la lutte révolutionnaire.

– Merci d’être venu, Géraldine. Ça va ?

– Si j’oublie le masque, tout va bien. Et toi ?

– J’ai un gros souci. Le collègue qui devait commencer une séquence de formation la semaine prochaine vient de choper le virus et il est en arrêt-maladie pour un temps indéterminé. Il enseigne dans un collège de banlieue où je ne connais personne. C’est mon prédécesseur qui l’avait recruté. J’ai eu l’info juste en début d’après-midi. Tu étais déjà en cours, d’où le mot dans ton casier. Bref, je suis en rade et j’ai pensé à toi.

C’est bien ce à quoi elle s’attendait. Elle va accepter mais il n’y a aucune raison de faire l’économie du dialogue. Le rituel a ses avantages.

– D’une part, tu sais que je n’ai jamais fait ce genre de travail, d’autre part que  j’ai une seconde, deux premières et une terminale en français. Tu dois donc te douter que je croule et que je vais crouler de plus en plus sous les copies.

La manière dont il hoche la tête signifie une empathie qu’il faut comprendre comme le prélude à la levée décisive des deux objections auxquelles il s’attend et qu’il a dû triturer dans tous les sens.

– L’absence d’expérience n’est pas un problème. – Il devine la moue sous le masque et secoue la tête – Non vraiment, je t’assure, Géraldine, il n’y a pas de formation spécifique. De toute façon, avec ton expérience… – Et il écarte les deux mains pour donner à l’argument une dimension transcendantale – Concrètement, il s’agit d’une vingtaine d’heures à raison de deux par semaines. En gros, le premier trimestre. Pour ce qui est de la charge de travail en dehors des heures d’enseignement, il n’y a que la préparation. Pas de copies. Le niveau, C.A.P. et bac pro. 

– Combien de participants ?

– Onze. Tous ouvriers professionnels dans une boîte qui fabrique des joints. Ne va pas t’imaginer des choses, ce sont de vrais joints d’étanchéité.

– Je n’imaginais rien. Et au bout, il y a quoi pour eux ? Une évaluation ?

– Non. C’est une session de mise à niveau de français décidée par le comité d’entreprise. Grammaire, orthographe et expression orale. Peut-être aussi l’étude d’un bouquin. Rien ne t’empêche de choisir un de ceux que tu étudies avec tes élèves. – Il écarte à nouveau les mains, cette fois pour présenter une conclusion irréfutable – Tu vois que les contraintes ne sont pas excessives.

– Si tu le dis. – Il plisse les yeux avec un léger haussement d’épaules censé souligner la modestie du triomphe – Tu veux une réponse quand ?

– J’aimerais bien régler le problème aujourd’hui.

– Autrement dit, maintenant – Nouveau léger haussement d’épaules – Ça doit être ce qu’on appelle mettre la pression. Sérieusement, tu n’as vraiment personne ?

Il se penche légèrement en avant comme s’il allait faire une confidence et le masque se gonfle un peu.

– Je ne veux pas jouer la corde militante, mais c’est la première convention de ce type conclu avec un comité d’entreprise, et j’aimerais que ça se passe bien. Pas une formation de type scolaire, si tu vois ce que je veux dire. J’ai vraiment envie que ce soit toi. Tu sais que ce n’est pas du baratin.

Elle sait. Pendant cinq ans, elle a été membre du bureau académique du syndicat majoritaire chez les professeurs du second degré et responsable syndicale dans l’établissement. Elle ne s’est pas fait que des amis parmi ses collègues et dans l’administration, il y a même eu des moments très chauds, et Mestrier l’a toujours soutenue. En seconde ligne, il en faut, mais soutenue. Ce qui n’est sans doute pas sans rapport avec la brève relation qu’elle préfère oublier. Elle a fini par se convaincre qu’il y a une vie sans militantisme syndical, elle a su résister à l’argument de l’homme irremplaçable, en l’occurrence une femme, et elle a eu la bonne idée de se mettre en retrait juste avant l’arrivée du virus.

– Tu ne veux pas la jouer, mais il me semble bien que tu la joues quand même. Et cet investissement militant est payé comment ?

– Un peu moins que l’heure sup.

Il cite le montant et elle hoche la tête.

– Tu as une conception assez large du « un peu moins ». La plage horaire ?

– On l’adapte à l’emploi du temps du prof.

– Le vendredi, je commence à 10 h 00. Je peux venir à 8 h 00. C’est ma seule possibilité.

– C’est parfait. Je te remercie. Tu m’enlèves une belle épine du pied.

– Je n’ai aucune idée de l’endroit où je vais poser les miens.

– Tu verras par toi-même, mais je suis certain que ça te plaira.

– Je verrai. Bon. Là, j’ai quelques copies qui m’attendent.

– Je prépare la paperasse et on finalise vendredi avec eux ?

– On finalise vendredi.

– Encore merci, Géraldine.

                                                      *

A cette heure, il n’y a peu de voyageurs dans le bus et elle peut s’asseoir près d’une vitre.

Les portes et les fenêtres des maisons, les devantures des magasins, les passants sur les trottoirs, les voitures, les bus, tout sert de support à un imaginaire qui rejoint celui des œuvres qu’elle fait découvrir à ses élèves. Fictions ou essais sont produits par la même insatisfaction permanente, pour le meilleur littéraire et philosophique ou le pire idéologique. La ville est une  juxtaposition de certitudes construites et de mouvements aléatoires, d’évidences fragiles, de rencontres et de croisements fugitifs. Ses compagnons éphémères sont embarqués pour un déplacement ordinaire dont les yeux disent la monotonie et la lassitude quand ils ne sont pas rivés sur un écran. Elle, monte à chaque fois moins pour se rendre au lycée ou en revenir que pour un voyage d’observation des lieux et des gens qui lui sont des énigmes d’humanité.   

Son rapport avec les élèves est tout autre. Elle est un professeur,  elle n’éprouve pas le besoin de dire une,  et un professeur a pour fonction de parler. Donc, elle parle. A la différence de Socrate, elle ne se considère pas comme une accoucheuse. Elle ne croit pas à l’existence d’un savoir enfoui qu’il faudrait faire émerger au moyen de techniques dont certains spécialistes de pédagogie viennent parfois entretenir l’équipe enseignante avec des discours abscons qui l’insupportent. Elle parle du savoir qu’elle a acquis et qu’elle continue à acquérir pour le transmettre et transmettre en même temps les outils de sa critique.   

Comme premier travail écrit de l’année, elle a proposé à ses élèves de seconde et de première de discuter ce point de vue de Jean Rostand,  publié à la fin de 1968 dans un livre intitulé Quelques discours :

 « Trois hommes, depuis trois jours, tournent autour de la lune. (…) Oui, devant ce chef-d’œuvre de la connaissance et de l’éthique que représente un tel achèvement matériel, nous ne pouvons qu’applaudir. Mais – au risque de scandaliser quelques-uns – je ne cacherai pas que, pour ma part, je me sens obligé de mettre une sourdine à mon applaudissement. (…) Tant que nous restons désarmés contre le cancer, tant que des maladies sont à vaincre qui pourraient être vaincues, tant qu’une majorité de terriens souffrent de la misère, de la faim, et restent plongés dans l’ignorance, tant que nous n’aurons pas résolu les problèmes de la surpopulation et du sous-développement, tant que des vieillards et des infirmes, partout, manqueront du nécessaire, tant que notre petit globe ne sera pas habitable pour tous, tant que règneront l’injustice sociale, la violence, le racisme et le fanatisme, dans un monde mesquinement divisé en patries, tant qu’un gouvernement mondial n’aura pas été institué qui prévienne les risques de guerre et nous garantisse contre le génocide atomique, je penserai que tourner autour de la lune est un luxe qui pouvait attendre, et que c’est là – pour parler comme Chamfort – avoir des dentelles avant d’avoir des chemises. »

Elle a volontairement omis une concession de l’auteur (« Je n’ignore pas que, dans le domaine de la science, on discerne mal l’utile de l’inutile, et qu’en se donnant les moyens d’atteindre la lune, l’homme se trouvera amené à des inventions et à des découvertes capables de servir à de tout autres fins. ») pour qu’ils puissent la trouver par eux-mêmes et l’exploiter dans l’analyse.

Il est 20 h 15 quand elle repose le stylo rouge.

A part deux exceptions, ils ne parviennent pas à construire une pensée. Ils émettent des opinions qu’ils tiennent pour des évidences, le plus souvent morales, dans le système binaire du bien et du mal, du vrai et du faux. Ils se sont rangés pour la quasi-totalité d’entre eux à l’avis de l’auteur qu’ils n’osent pas critiquer parce qu’ils ne se sentent pas autorisés à contester l’autorité d’une pensée validée par la publication, la célébrité et le choix du professeur. Il s’agit pour eux d’un exercice formel que le discours général d’enseignement leur enjoint de construire en trois parties (thèse, antithèse, synthèse), une caricature évidemment non innocente de la dialectique. Le résultat est d’un artifice affligeant. Elle a noté 20 et 16 les deux exceptions. Les notes des trente-et-une autres se répartissent entre 10 et 6. Comme à chaque nouvelle rentrée, elle va s’efforcer de démolir le discours académique qui encombre les têtes et contribue à affaiblir l’expression écrite aussi artificielle que le plan systématique en trois parties.

Avant la dernière copie, elle a placé la quiche dans le four. Elle la dépose sur une assiette, pose l’assiette sur un plateau avec des couverts, verse le Cahors dans un verre tulipe qu’elle agite lentement avant de goûter par le nez et la bouche les nuances subtiles du malbec, puis dispose le tout sur la table à côté du fauteuil, en face de l’écran déroulé depuis le plafond. Puis elle met en route le projecteur et s’installe dans le fauteuil.

                                                            *

L’accusé qu’on voit de longues secondes en surimpression pendant que les jurés quittent leur place pour se rendre dans la salle de délibération, donne un visage humain au drame. C’est ce jeune homme au regard perdu qui sera attaché sur la chaise électrique s’il est reconnu coupable.

On devine assez vite que le personnage central est le juré en complet clair dont l’allure et l’attitude tranchent sur celles des autres. Ses pensées le tiennent immobile et silencieux devant une fenêtre de la salle de délibération, alors que la plupart des autres manifestent une certaine agitation ou tiennent des propos vains et décalés par rapport à la gravité de la situation. L’un dit qu’il s’est ennuyé pendant le procès, un autre que le procureur a été remarquable, un troisième que la culpabilité ne fait aucun doute, un autre encore qu’il doit assister à un match de football et qu’il espère que la délibération sera une formalité vite expédiée

Le premier vote indicatif confirme l’impression initiale : onze des douze jurés se prononcent pour la culpabilité (guilty) et, seul, l’homme au complet clair, le huitième juré, vote not guilty. Il expliquera que ce n’est pas parce qu’il pense l’accusé innocent, il n’en sait rien, mais parce qu’il a un « doute légitime » – c’est la formule employée par le juge à la fin du procès – notamment à cause de l’avocat de la défense, nommé d’office, qu’il a trouvé incompétent. Il dit aussi qu’il ne se sent pas le droit d’envoyer sans discuter un homme sur la chaise électrique, en l’occurrence un jeune homme de seize ans. 

Ce vote contrarie une évidence unanime qu’on devine quand même fragile : quelques mains se sont levées pour la culpabilité avec une certaine hésitation, par effet de contagion. Le huitième juré met ainsi en route une machine d’antagonismes  dont la violence devient peu à peu d’une intensité analogue à  la chaleur étouffante de la salle de délibération, prélude à l’orage qui menace, une chaleur d’autant plus pénible que le ventilateur ne veut pas démarrer.

Dès lors, deux discours vont s’affronter : celui de l’évidence prétendue qui va peu à peu céder face à celui du « doute légitime », l’un et l’autre appuyés, dans un rapport d’importance qui va s’inverser, sur les faits dont l’indiscutable objectivité revendiquée par les partisans de la culpabilité va progressivement se déliter. L’accusé sera donc déclaré non coupable après que le doute légitime aura invalidé les résultats de l’enquête qui n’a donc pas fourni les preuves de la culpabilité.

Leur verdict rendu, les jurés descendent chacun de son côté le grand escalier extérieur du tribunal qui les ramène à la vie ordinaire. L’homme dont on a vu le visage au début du film va pouvoir continuer à vivre parce qu’un autre homme a mis en cause l’apparence d’une prétendue vérité validée par la passion.

                                                            *

Géraldine éteint le projecteur, enroule l’écran et débarrasse le plateau du repas avant de sélectionner sur son ordinateur une des versions d’A Vava Inouva, la berceuse du chanteur compositeur berbère Idir qu’elle écoute dans une semi-obscurité. La mélodie de la musique d’apparence simple (un jeu entre cinq notes) et de la langue berbère lui permettent de retrouver une des formes les plus immédiatement sensibles de l’harmonie dont le langage musical signifie pour elle la dimension universelle de la vie. Elle est son antidote à la colère que suscite en elle l’invocation incantatoire de l’évidence et le refus entêté de la pensée critique.

Le film en présente des exemples remarquables. La colère est d’abord celle de trois jurés contrariés par le not guilty du juré 8, le 3 pour des raisons idéologiques, le 10 familiales et le 7 dont le cynisme de la désinvolture est aussi odieux qu’ordinaire ; elle gagne ensuite peu à peu tous les jurés, y compris le huitième, et explose plus ou moins violemment au cours d’affrontements passionnels qui s’arrêtent de justesse au bord de l’agression physique.

Ce n’est pas le dénouement qui importe – on pressent dès le début le retournement de situation – mais le conflit entre les douze personnages, en réalité l’expression personnifiée des diverses strates de l’être humain : ainsi, se débarrasser d’une contrainte dont on occulte l’objet, ici, la vie d’un homme, pour, par exemple, aller assister à un match dont on a acheté les billets, pour s’occuper d’affaires personnelles jugées urgentes, ou, plus simplement, pour ne pas perdre son temps en compliquant ce qui est pourtant simple.

Jean Rostand propose une analyse qu’elle qualifie d’humaniste. Mais compte tenu du problème financier qu’elle soulève, il lui manque un paramètre essentiel, celui du capitalisme. Car des ressources financières si importantes ne sont pas mobilisées dans l’ignorance des malheurs évoqués. L’exploration du cosmos, comme n’importe quelle recherche ou construction, est largement conditionnée par des préoccupations déterminantes de profit et de suprématie politique nationale. Au regard des souffrances humaines, elle n’est pas plus un problème en soi que ne l’est la construction d’un musée ou du TGV.

Les deux copies qu’elle a notées 16 et  20 sont les seules à avoir examiné les rapports entre les composants qu’elles ont pris soin d’identifier, d’une part de l’exploration du cosmos, d’autre part des problèmes que J. Rostand  estime prioritaires. La conclusion de la première soutient le point de vue critique du biologiste, celle de l’autre, la meilleure – elle a trouvé la concession qu’elle inclut dans le raisonnement – nuance cette critique en précisant que le choix dépend des objectifs que l’on assigne à la science et que ce choix dépend du type de société qu’on veut construire. La note maximale n’indique pas une perfection qui n’existe pas, mais le sommet atteignable par des élèves de cet âge. En l’occurrence, une adolescente sensiblement du même âge que l’accusé du film, très attentive et concentrée, qui ne prend que quelques notes, alors que la plupart s’efforcent de copier mot à mot le cours dont Géraldine leur a pourtant expliqué qu’il n’était pas rédigé mais improvisé.

                                                            *

Onze hommes donc, onze ouvriers masqués entre trente et quarante-cinq ans, neuf professionnels spécialisés dans le processus de fabrication et deux techniciens affectés à la maintenance des machines, dont un électricien. Ils apprennent le changement de professeur en arrivant et Géraldine reçoit cinq sur cinq le message oculaire et frontal « ce n’est pas parce que vous êtes une femme que nous allons tout accepter sans réagir ». Elle le vérifie très vite. Après l’intervention liminaire de Marcel Mestrier et les présentations, elle leur propose pour travailler l’expression orale d’exploiter un ou deux thèmes du film de Sidney Lumet Douze hommes en colère qu’ils pourraient regarder ensemble le vendredi suivant.

Ils se consultent du regard, la plupart en mettant leurs sourcils en accent circonflexe, et quand elle demande si certains l’ont déjà vu, ils secouent lentement la tête. Elle en dit quelques mots sans noter de réactions favorables. Même chose quand elle suggère de faire de la pièce de Reginald Rose une lecture comme le font les acteurs de théâtre avant l’interprétation.

L’un d’eux – elle n’aime pas trop son ton sérieux et compassé ni son costume étriqué – rappelle sur le ton de l’objection que le comité d’entreprise a donné son accord pour – il insiste – des cours de français. Un autre – lui, c’est l’homme organisé, avec le cahier neuf ouvert bien à plat à la première page et le stylobille qui ne demande qu’à écrire – tient à parler de l’orthographe et de la grammaire.

Pendant qu’il explique ce qu’il attend du cours – quelque chose comme un livre de recettes – elle se demande par quel biais elle va pouvoir éviter la cacophonie générale des attentes particulières, quand le grand type mince aux cheveux noirs épais et bouclés dont le masque laisse apparaître une amorce de favoris, déclare posément d’une voix au timbre grave qu’il est prêt à tenter l’expérience qu’elle propose pour le film et la pièce. Il indique son prénom, André, et il est le seul à le faire.

Les deux réticents réagissent par des haussements d’épaules de résignation du genre fataliste et Géraldine se dit qu’André – elle jette un coup d’œil sur la liste et repère qu’il est l’électricien de maintenance – pourrait bien être son huitième juré. Il est vrai qu’ils ne sont que onze, et il est trop tôt pour savoir si elle pourra devenir le numéro 12. Elle verra. Pour le moment, elle est le prof, elle dit qu’elle constate que les avis différent et annonce que, pour mettre tout le monde d’accord – elle leur expliquera plus tard à quoi sert le piège de cette formule –  la prochaine séance sera donc consacrée à la projection du film et qu’ils décideront de la suite à donner à sa proposition après l’avoir vu.

Personne ne proteste et elle distingue un sourire sous le masque d’André.

La sonnerie de 10 h 00 annonce l’intercours de la matinée, ils rangent leurs affaires et elle leur donne rendez-vous le vendredi de la semaine suivante avant de se rendre dans le bureau de Mestrier. Elle lui fait part des réticences, de la perche tendue par l’électricien et de la décision qu’elle a prise. Mestrier approuve et propose de financer avec les fonds alloués à la formation l’achat des onze exemplaires de la pièce de théâtre.

(à suivre)

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