Du latin abstinere = se tenir à l’écart. Encore faut-il définir l’objet dont on s’écarte. D’une élection particulière (en l’occurrence départementale et régionale) ou de ce qui sous-tend la démarche électorale ?
La perte de sens du lien territorial relatif aux régions ? Elles ont été découpées non en fonction d’une éventuelle histoire/culture commune, mais selon des critères administratifs et économiques. Même remarque pour les cantons eux aussi redéfinis.
Pour autant, les départements, qui sont depuis longtemps des structures inchangées, sont-ils, (l’ont-ils jamais été dans la période moderne ?) des références d’une quelconque identité ?
Compte tenu des mouvements de population et des raisons qui les expliquent, ces critères sont aujourd’hui obsolètes.
La méconnaissance (avérée par des enquêtes) des compétences des assemblées régionales et départementales ne me paraît pas non plus un argument très solide. Si l’extrême-droite a utilisé le thème très populaire de la « sécurité » dont la responsabilité est celle de l’Etat, ce n’est pas par inadvertance. Et puis, je ne suis pas certain que tous les habitants d’une commune connaissent exactement le cadre des limites du pouvoir de leur maire.
Je passe sur les dysfonctionnements de la société privée chargée de transmettre les professions de foi des divers candidats. En revanche, cette privatisation d’un segment de l’élection est le signe d’un choix dont la nature peut permettre de comprendre pourquoi un si grand nombre de personnes a choisi de se tenir à l’écart.
A l’écart non de la politique, mais du politique.
A l’époque pas si lointaine où le découpage des cantons pouvait avoir rapport avec la géographie et l’économie – ce qui n’était pas toujours le cas, loin s’en faut, les critères dominants étant électoraux – le vote n’était pas déterminé par des intérêts locaux mais par un choix politique global en rapport avec le système dont les partis exprimaient soit un soutien soit une contestation soit un rejet. Je peux en témoigner pour en avoir fait une expérience significative. Si les politiques (partis, candidats, élus) étaient objets de soutien, de critique, d’indifférence, le politique, lui, ne l’était pas et l’abstention électorale était faible.
Aujourd’hui, ce choix a disparu parce que l’idée d’une alternative n’existe plus.
Voter pour la droite, le centre, la gauche, les écologistes n’a aucune incidence sur le système lui-même auquel aucune utopie de renversement ne peut, au minimum, servir de faire-valoir.
Seul le FN/RN est l’expression d’un autre chose qui n’est pas de l’ordre du politique mais du passionnel/irrationnel dominant sinon exclusif.
D’où l’erreur de certains commentateurs qui voient dans le reflux (conjoncturel) des voix du FN/RN une baisse d’influence : de nombreux électeurs FN/RN ne se sont pas déplacés parce que le type d’affect qui les conduit à voter pour ce mouvement n’a pas à voir avec l’enjeu de cette élection qui est de simple gestion.
Le politique qui s’affaiblit depuis une trentaine d’années est lié à la disparition de l’alternative que j’évoquais.
On peut en voir le signe dans la déroute du parti du président, LREM.
E. Macron et M. Le Pen sont l’un et l’autre les signes antagonistes de cet affaiblissement du politique : le premier parce qu’il le réduit à la gestion « moderne » du système et à l’identification à sa personne via un ersatz de dialectique (« en même temps »), la seconde parce qu’elle incarne le vide des idées et le trop-plein des peurs en attirant les orphelins, inconscients, de l’utopie morte, comme le joueur de flûte de Hamelin les enfants des parents irresponsables.