Expliquer (dans le sens premier « déplier ») la musique peut sembler une gageure : comment les mots de la langue peuvent-ils rendre compte du langage musical ?
Et d’abord, pour quoi ? Et à quoi bon ?
Certaines œuvres musicales peuvent être « énervantes », dans le sens où elles obligent à trouver et à dire ce qui les rend si impérieuses, pour ne pas dire obsédantes. Même observation pour la peinture.
Ainsi, parmi beaucoup d’autres, la fugue* de mode/tonalité sol mineur BWV** 578, une des plus connues du compositeur.
* Pour une esquisse de problématique de la fugue, voir les articles des 23, 24 et 25 juillet 2020
** BWV (Bach-Werke-Verzeichnis) désigne le « catalogue des œuvre de Bach », dressé par le musicologue allemand Wolfgang Schmieder (1901-1990).
Elle est écrite pour orgue, ce qui veut dire qu’il y a trois portées (une portée = cinq lignes horizontales sur lesquelles sont figurées par des notes de valeurs différentes les hauteurs de sons) : une pour chaque main et une pour le pédalier (une trentaine de touches/marches situées à l’aplomb du siège de l’organiste et sur lesquelles il appuie avec les pointes et les talons en même temps qu’il joue sur le ou les claviers).
Elle est dans le mode/tonalité de sol mineur : mineur, du latin minor : plus petit, moindre, opposé à majeur < major, plus grand.
Plus grand ou plus petit en quoi, exactement ?
Si vous avez un piano sous la main, jouez ensemble sol, si, ré : accord de mode/tonalité majeur (gamme de sol majeur). Jouez ensuite sol, si bémol (un demi-ton au-dessous du si – touche noire), ré : accord de mode/tonalité mineur (gamme de sol mineur, celle de la fugue en question).
Sinon, vous pouvez trouver sur Internet des illustrations sonores de ces deux types d’accords.
Là commence le questionnement : si je dis, comme on le dit habituellement, que l’accord majeur sonne gai et le mineur triste, je n’explique rien, j’ouvre seulement la question du rapport majeur/gai, mineur/triste.
Pensant à ce qui peut créer de la gaieté et de la tristesse, est-ce que j’avance en établissant un rapport d’identité entre gai et plein d’une part, et triste et incomplet d’autre part ?
Le mode/tonalité majeur exprimerait-il le plein et le mode/tonalité mineur l’incomplet ?
Mais plein et incomplet de quoi ? Et par rapport à quoi ?
Sol-si (majeur) est un intervalle de 2 tons, sol-si bémol (mineur) d’un ton et demi : est-ce que plein/majeur/gai et incomplet/mineur/triste seraient déterminés par cette différence d’un demi-ton en-dessous (bémol), « moindre » ?
Autrement dit, serait-ce un problème de fréquence qu’on pourrait formuler ainsi : la tristesse – préexistant à l’expression musicale – sélectionne de manière empirique le mode/tonalité qui lui correspond (d’ordre émotionnel) qu’elle nommera mineur parce que ce sentiment est lié à un manque (un être disparu par exemple), donc à un moindre, perçu par celui qui l’éprouve ?
C’est un début d’hypothèse que je préciserai plus loin.
Un des exemples célèbres de mode/tonalité mineur est le second mouvement de la 7ème symphonie de Beethoven (la mineur), sur le rythme : noire, croche, croche / noire, noire (une noire = deux croches => – – – / – –) et ainsi de suite, pendant tout le mouvement (procédé appelé ostinato = obstiné).
Certains chefs le dirigent très/trop lentement (alors que l’indication de Beethoven est : allegretto = un peu moins rapide que allegro) dans un rythme qui peut évoquer une marche funèbre… qu’elle n’est pas.
En anticipation de la précision annoncée, est-ce que ce deuxième mouvement est triste parce qu’il est en mode/tonalité mineur ? Autrement dit, est-ce que les chefs qui le dirigent très/trop lentement ne le font pas parce qu’ils ont décidé que mineur = triste ?
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Avant d’aller plus loin, il est nécessaire d’écouter/réécouter cette fugue (un peu plus de trois minutes), écrite pour orgue et dont la plupart des interprétations que je connais sont à mon avis trop rapides.
Sur Youtube, vous pouvez l’écouter (en tapant : fugue 578) :
> interprétée sur l’orgue dans cinq interprétations intéressantes à comparer :
1 – Ton Koopman (rapidité absurde, le thème perd toute sa profondeur pour ne pas dire qu’il disparaît, noyé dans le courant d’une virtuosité gratuite).
2 – « Little fugue in G minor » (scrolling) avec la partition défilant.
3 – Charles Brusquini
4 – Melissa Brassard
5 – Dorien Shouten Netherlands Bach Society (ma préférée des cinq)
> transposée pour le piano (la partie du pédalier est associée à la main gauche) :
1 – Matthew Ming Li
2 – Elizabeth Sombart – arrangement de Tatiana Nikolayevna – dans un rythme lent, l’exact contraire de l’interprétation de Ton Koopman.
> transposée pour guitares :
Tetrakys guitar quartet
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