« Racisé… »

Le numéro de Télérama (du 3 > 9.04.2021) propose une interview de l’historienne de la psychanalyse Elisabeth Roudinesco et de l’historien Pascal Blanchard.

Quelques extraits accompagnés de commentaires, avant une conclusion.

Question : « De quelles fractures les querelles sur l’islamo-gauchisme sont-elles le signe ? »

P.B. «  Depuis une trentaine d’années en France (une quarantaine aux Etats-Unis), nous observons une nouvelle manière de penser l’histoire du colonialisme, la question du genre et la domination masculine. »

Si l’observation est juste, P.B. ne pose pas la question de la date : pourquoi cette « nouvelle manière de penser » est-elle née à cette époque ? Ce non-interrogé revient à dire que le contexte historique n’a pas d’incidence sur la pensée. La concomitance n’ont plus n’est pas objet de questionnement.

E.R. : «  Quand on impose le mot « racisé » alors que la race n’existe pas, quand on fige les combats dans une stratégie uniquement victimaire, c’est intenable. Or, il se passe la même chose du côté des études de genre : le queer – l’ensemble des minorités sexuelles ou de genre – est mouvement flamboyant et passionnant. Mais le stigmates d’hier se sont inversés, et le jeu consiste désormais à assigner « l’autre » à sa nature dite « hétéronormée », à sa « blanchité » ou à sa masculinité, pour lui dénier tout droit à la parole, dans une ronde sans fin d’anathèmes : les transgenres finissent par attaquer les homosexuels, les lesbiennes, les gays, les gros, les minces… A la longue, les mouvements d’émancipation vont tout simplement finir par s’autodétruire… »

La race n’existe pas, oui,  mais depuis combien de temps est-ce un savoir, et ce savoir est-il indiscuté ? Autrement dit, qui impose « racisé » ? Le terme est-il inventé, là, comme ça, sans raison autre qu’une lubie,  ou bien son invention doit-elle être considérée comme un signe qu’il faut décrypter ? Et puis, s’agit-il d’un « jeu » ?

Là encore, il  est curieux que soit évacuée la recherche de causalité possible, autrement dit que ne soit pas interrogé le contexte historique, et que ce mouvement soit présenté comme s’il était voulu, pensé, organisé comme un projet de société.

Question : « Plus personne ne conteste, pour autant, que les descendants des colonisés n’avaient pas eu accès à l’histoire de la colonisation… »

P.B. «  C’est indéniable. Je me rappelle encore cet étudiant qui disait : » Quand on travaille sur des conquêtes coloniales, on connaît toujours le nombre de soldats français morts et jamais le nombre d’indigènes tués. » Il avait raison. Il faut d’autant plus entendre sa douleur que l’histoire coloniale n’a longtemps été racontée que du point de vue des empires. Mais quand enfin émergent des chercheures originaires des anciennes colonies, ces sujets deviennent brutalement des outils politiques dans les débats d’opinion, parce qu’ils apportent un regard neuf sur l’Histoire et sur l’Occident, et offrent de nouveaux espaces d’expression à celles et ceux qui n’avaient pas eu le droit de parler jusque-là : les minorités et les femmes. C’est ainsi qu’on peut penser une histoire globale, une histoire monde, sans pour autant faire disparaître la dimension nationale. »

« Raconter, espaces d’expression, droit de parler »… en quoi ces termes rendent-ils compte de la demande, non entendue, qui s’exprime par ce que dénoncent les deux historiens. Voir la conclusion.

E.R. : « Nous sommes malheureusement englués dans un débat insensé entre les « études de genre » anglo-saxonnes revisitées par des chercheurs hexagonaux qui se disent inspirés par Michel Foucault et des Français qui se référeraient à une philosophie des Lumières universaliste mal comprise. »

« Malheureusement englués, débat insensé » sont des jugements, non une analyse.

Q : « La tempête était donc inévitable… »

E.R. : « Le débat autour de l’islamo-gauchisme est devenu infernal (…) Beaucoup de petits-enfants d’immigrés souhaitent garder dans les prénoms qu’ils donnent à leurs enfants, ou dans leur culture, la trace de leurs origines, et je l’accepte. Mais cela ne devrait jamais les empêcher de devenir républicains, et en particulier des respecter les principes de la laïcité. (…)  On ne demande pas à ces élèves [issus de l’immigration] d’être gaulois ! On leur demande d’être français… Et si un effort doit être effectivement être fait  pour raconter leur histoire…(…) Et je ne vois pas  au nom de quoi les enfants français dont les grands-parents  sont issus des pays anciennement colonisés ne pourraient pas aussi s’identifier à Victor Hugo dans leurs revendications. Parce qu’il est blanc ? »

« Devrait… » Curieux sous la plume d’une historienne «… raconter [par d’autres] leur histoire», également curieux sous la plume d’une spécialiste de la psychanalyse. Je passe sur « infernal ». Quant au « ne pourraient pas » il est également curieux qu’il soit adressé à ceux qui sont critiqués pour le « racisé » et pas à ce qui y conduit.

Conclusion :

Je pense qu’il manque à ces analyses la dimension philosophique (dont sa composante éthique) qui peut permettre de comprendre la problématique que constituent ces événements, pour les sortir de la polémique stérile où ils sont bloqués.

L’Histoire « racontée » aux élèves est, dans le récit et le discours qui le sous-tend, celle du système capitaliste, selon l’équation être = avoir plus. Ce système, en tant qu’il détermine le rapport consommation/production et les rapports sociaux, contient une contradiction avec l’exigence du commun qui, dans le même temps, préoccupe l’humanité depuis son origine. La résolution de cette contradiction est projetée dans une alternative « communiste » (cf. Platon) qui balance entre le possible et l’utopie. La réalité industrielle moderne (depuis la fin du 18ème siècle) produit une théorie « scientifique » (Marx) qui fait résolument pencher la balance du côté du possible. Le fiasco de l’entreprise (URSS) et son implosion tue (ou donne l’impression de tuer) jusqu’à l’idée même de cette alternative.

Autrement dit : le « racisé » pouvait, jusqu’à la fin des années 80, entendre le discours historique enseigné en s’identifiant au commun, utopique ou réel, contradictoire du capitalisme.

Depuis la mort (réelle ou imaginaire) de l’idée de « communisme », cette identification est impossible et le « racisé » est obligé d’écouter l’histoire qu’on lui raconte – celle du colonialisme notamment – sans identification autre que le capitalisme générateur d’une conception de l’être fondé sur l’avoir et le pouvoir, qui se réalisent notamment dans l’esclavage, la colonisation, l’exploitation de la force de travail, le racisme, les rapports homme/femme, sexe/sexualité…

C’est à mon sens ce qui produit, après la création du concept de négritude créé en son temps pour répondre à un moment de la contradiction, celle de ces nouveaux concepts (racisé, intersectionnalité, woke…).  Ils sont les signes émis par des orphelins auxquels n’est offerte qu’un récit/discours d’identification à ce qui  a « tué » leurs parents, et qui cherchent, dans la confusion, et en se heurtant à des murs d’incompréhension générateurs de violence, à exister en-dehors de l’équation capitaliste.  

Les clivages passionnels que produisent ces concepts, entre autres, indiquent que ce problème, signifié par ce qui s’apparente à des cris, est planétaire.

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